LA CHINE
ENTRE DANS LE MONDE ET SES PAYSANS ?
Par Claude AUBERT,
Directeur de Recherches au Département d’Economie Sociologie
Rurale à l’INRA
(Ci-dessous un résumé à
partir de notes prises au cours de l’exposé et de la discussion)
INTRODUCTION
Le titre de cet exposé est sous
forme de jeu de mot : en chinois « la Chine entre dans
le monde », veut dire aussi qu’elle entre dans l’OMC. Elle y
rentre depuis l’année 2002 comme une puissance mondiale mais
paysanne et avec une paysannerie majoritairement pauvre.
LA CHINE PUISSANCE
MONDIALE DES PAYS EN
DEVELOPPEMENT
L’année dernière la Chine est
passée 4ème exportateur mondial, avec 90% de ses
exportations en produits manufacturés, la moitié dans
l’électromécanique et un quart dans les secteurs de haute
technologie. La Chine fait peur parce que son économie en
surchauffe fait flamber les prix des matières premières
du monde, avec la crainte d’effets négatifs sur la croissance
mondiale si son économie retombe.
Son PIB est le 6ème dans le monde et, en terme de Parité
Pouvoir d’Achat, le 2ème après les USA. Mais ces chiffres
reflètent les dimensions du pays beaucoup plus que son
développement. Car la Chine compte 1.300.000.000 habitants et
son PIB par habitant tombe à environ 1.100 $, ce qui dans le
classement de la Banque Mondiale est inférieur à la
moyenne mondiale, qui est, en terme de PPA, à environ 4.500 $
par personne et par an (par comparaison l’Inde = 2.500, la France
25.000 et les USA 35.000)
? Dualité urbains/ruraux
La Chine est un pays en développement avec une dualité
entre son monde rural et son monde urbain : 59% de ruraux soit 800
millions mais déjà 500 millions d’urbains y compris les
migrants partis des campagnes : un clivage profond au
niveau du revenu par personne et par an, de 1 à 3, mais non
significatif dans la mesure où une large partie du revenu paysan
est constituée par l’auto consommation.
? Dualité géographique
L’est côtier est très développé,
l’intérieur beaucoup moins. Si l’on compare le Guizhou, la
province la plus pauvre, et le Zhejiang pas de loin de Shanghai, la
province la plus riche, l’écart va de 1 à 5, et de 1
à 3 pour les revenus paysans.
Cette double dualité urbaine/rurale et
côtier/intérieur se traduit par environ 200 millions
habitants qui vivent à l’occidentale, profitent de la croissance
et représentent un marché potentiel pour le reste du
monde, mais à coté par plus d’1 milliard d’habitants dont
la majeure partie vit à la campagne.
UNE AGRICULTURE
PERFORMANTE
La Chine est un pays de cultures
très diverses. Le Nord-Est, le Heilongjiang, en limite de la
Sibérie, a un climat très dur qui ne permet qu’une seule
récolte par an, c’est la patrie du soja. Dans la plaine du nord,
on arrive à deux récoltes par an qui sont le blé
d’hiver et le mais, le coton ou l’arachide. Dans le centre nord, la
rive nord du Yangzy, on fait aussi deux récoltes par an :
le blé et le riz. Puis dans les grands bassins rizicoles, on
réalise deux récoltes de riz par an, et sur la côte
des zones tropicales jusqu’à trois ou quatre récoltes par
an : canne à sucre, agrumes…..
A coté il y a le sud-ouest montagneux très pauvre et le
Sichuan, région agricole riche au point de vue des ressources,
mais relativement pauvre au niveau des revenus.
En dehors de la Chine proprement dite, il y a la Chine des Marches, la
Mongolie intérieure, le Xinjiang, le Tibet …zones de steppe, de
nomadisme pastoral, d’oasis, très peu peuplées,
différentes de l’agriculture chinoise traditionnelle. Donc
l’essentiel de la Chine paysanne est à l’est d’une grande ligne
nord-est, sud-ouest.
? La mise en valeur des terroirs
Malgré cette grande
diversité, il y a malgré tout une très grande
homogénéité de la mise en valeur des terroirs.
Depuis la décollectivisation du début des années
80, la terre est divisée égalitairement au prorata du
nombre de têtes des familles et louée sur contrat de 30
ans, soit environ 200 millions d’exploitations familiales pour 100
à 130 millions d’hectares cultivés, ce qui donne en
moyenne des mini-exploitations de 0,5 à 0,6 hectare et pas ou
peu de concentration foncière. Par contre évidemment les
systèmes de culture créent des différences entre
le nord-est et le sud. On passe d’exploitations qui font 2 ha par
famille dans l’Heilongjiang, où on ne peut faire qu’une
récolte par an, à 1/3 d’hectare seulement dans le sud de
la Chine où on atteint 2 à 3 récoltes par an. Mais
si on rapporte la main d’œuvre agricole à la superficie
récoltée, en tenant compte des doubles récoltes,
on s’aperçoit que, quelle que soit la région, on
récolte entre 0,4 et 0,5 hectare par main d’œuvre agricole
active qui est encore manuelle. C’est du jardinage, d’où une
très grande performance de cette agriculture.
Seuls dans les grandes plaines du nord, le labour principal d’automne
avec enfouissement du fumier, le battage et l’irrigation sont
mécanisés.
? Les rendements
La Chine, de par sa taille, est premier
producteur au monde de riz, de blé, deuxième pour le
maïs. Les niveaux des rendements officiels sont de l’ordre de 4 t/
ha pour le blé, 5 t/ ha pour le maïs, plus de 6 t/ ha pour
le paddy, rendements par hectare récolté, à
multiplier par 2 si on a deux récoltes successives. Ces chiffres
sont surestimés, mais même diminués de 20 % ce sont
encore des rendements hectare assez élevés : 3 t/ ha
de blé, 4 t/ ha de mais, au niveau d’un continent qui a des
zones très pauvres.
? La révolution verte
Cette agriculture performante s’explique
essentiellement par la révolution verte commencée en
Chine au milieu des années 60 avec de nouvelles
variétés de blés, de riz, l’utilisation intensive
des engrais, l’irrigation nécessaire… Maintenant, sur la
moitié des rizières, les riz hybrides constituent une
seconde étape de la révolution verte. Le renouvellement
annuel des semences montre déjà un certain degré
de technicité de la part des paysans. Il y a de grandes zones
dans l’ouest de la Chine qui ne sont pas irriguées : le
taux d’irrigation total de la Chine est de l’ordre de 50 à 60 %,
mais les grands bassins rizicoles et céréaliers sont
irrigués grâce à l’extension des puits tubés
où on exploite et même on surexploite la nappe
phréatique puisque le manque hydrique se profile à
l’horizon.
- Le commerce agroalimentaire
Une agriculture performante se mesure aussi
au niveau du commerce international. Le commerce des grains en Chine
est excédentaire, c’est une situation qui ne peut pas durer,
mais le commerce de l’agroalimentaire de la pêche, des conserves,
des produits horticoles… dégage de forts excédents, en
contraste d’ailleurs avec des excédents commerciaux pour
l’ensemble de la Chine qui vont en diminuant.
- Disponibilité alimentaire
Cette agriculture se mesure au fait que
les Chinois sont autosuffisants au niveau alimentaire :
disponibilité générale moyenne par tête et
par an, d’environ 350 kgs brut de céréales (en Inde,
c’est seulement 210 kgs), 40 kgs de viande, 20 kgs d’œufs… ration
calorique moyenne de 2500 k/cal. La Chine a déjà
dépassé le seuil de famine et même sil y a de
grosses disparités régionales, les paysans ont tous
accès à un minimum d’autosuffisance alimentaire
- La pauvreté
Le chiffre officiel de pauvreté,
retenu par la banque mondiale, est de l’ordre de 100 millions de
paysans, principalement dans les régions du sud-ouest. C’est un
chiffre appréciable, mais sur 800 millions cela n’est pas un
taux de pauvreté - 10 à 15 % – beaucoup plus
élevé que dans les pays développés,
même si la pauvreté en Chine est autre chose que la
pauvreté en France !
UNE PAYSANNERIE
MAJORITAIREMENT PAUVRE.
C’est là le grand paradoxe de la
Chine : une agriculture riche et des paysans pauvres. Dans la
période de décollectivisation, il y a eu un
décollage foudroyant, avec rattrapage des revenus ruraux qui ont
presque atteint ou même dépassé les revenus
urbains. Puis la situation n’a cessé de se dégrader et on
retombe maintenant à un taux relatif plus bas que ce qu’il
était avant la décollectivisation, ce qui augmente encore
ce contraste entre la Chine urbaine riche et la Chine rurale pauvre.
Il y a des inégalités beaucoup plus grandes en Chine
qu’elles ne le sont en Inde, au niveau des revenus tels qu’ils sont
appréhendés par les statistiques officielles (taux de
GINI 0,42 à 0,46 contre 0,38 en Inde).
- La baisse des revenus agricoles
La part des revenus agricoles dans les
revenus paysans baisse. En 1985, ils étaient à plus de
2/3, en 2002, ils étaient à moins de la moitié. Et
là dedans les cultures faisaient plus de la moitié en
1985 et maintenant elles n’en font plus que 1/3. Donc revenus de
l’agriculture en baisse, en particulier le revenu des cultures, et part
prépondérante des revenus non agricoles. En fait la
comparaison entre revenus ruraux et revenus urbains, est
complètement faussée du fait que les urbains disposent
d’avantages que les ruraux n’ont pas, et les ruraux ont à
supporter des charges que les urbains par contre ne supportent pas, ce
qui inquiètent fortement les autorités.
- Les « fardeaux
paysans »
Les « fardeaux
paysans » ce sont l’ensemble des taxes, des frais que les
paysans doivent payer aux autorités locales, dans lequel il y a
en fait trois grandes parts :
Les taxes plus ou moins rapportées à l’agriculture,
mesurées par rapport à la terre cultivée et qui
vont normalement aux gouvernements des cantons, ou des
départements.
Des frais pour les villages et pour les cantons qui servent à
payer les cadres du Parti communiste des villages et la bureaucratie
des cantons.
Et ensuite un tas de surtaxes pour n’importe quel
prétexte : construction d’une route, d’une école,
paiement d’amendes parce qu’on n’a pas respecté ceci ou cela.…
c’est la partie obscure pour lesquelles les estimations
diffèrent.
D’après des enquêtes, le total
du fardeau paysan serait 10 à 15 % du revenu moyen, payé
en liquide alors que le revenu paysan est en large partie un revenu
d’autoconsommation en nature.
Dans les provinces riches de l’est de la Chine, des entreprises paient
des taxes et les bureaucraties locales ont donc d’autres sources que
les paysans. Dans les provinces de l’intérieur, totalement
agricoles, ce sont les paysans qui supportent l’impôt, de
façon très dure, très autoritaire et son taux est
bien supérieur à la moyenne.
- L’inégalité sociale entre
urbains et ruraux
L’impôt que paient les urbains par rapport à leurs revenus
est minime et la fraude fiscale énorme. Ils échappent
à l’impôt et bénéficient surtout de services
que les paysans n’ont pas : les écoles sont gratuites dans
les villes (sauf pour les écoles d’élite), par contre en
milieu rural, en dehors des frais payés dans les villages et les
cantons, les paysans sont obligés de payer directement aux
instituteurs ou aux professeurs de collège des frais
d’écolage très élevés, en dehors des
fournitures…Ainsi dans les régions pauvres on n'envoie pas les
enfants à l’école. Les frais médicaux sont
à la charge des paysans alors que dans les villes, il y a un
minimum de sécurité sociale.(? L’absence de
véritable politique agricole
Les paysans sont donc taxés et
pratiquement pas aidés. Les aides budgétaires de
l’état vont à ses propres infrastructures, au paiement de
toute la bureaucratie des départements dans la filière
agricole, donc très peu aboutissent chez les paysans. Il y a
également des aides directes et des subventions pour les prix
mais ces subventions sont en fait pour les urbains et pas pour les
paysans. Des réformes du fardeau paysan ont été
tentées mais sont impossibles à gérer dans la
mesure où le budget central n’a pas les finances pour aider les
budgets locaux.
Un seul exemple : il y a eu une réforme fiscale
menée dans l’Anhui depuis l’année 2000 pour
réduire le fardeau paysan en transformant les
« frais » en une taxe unique réduite.
Officiellement un succès ! Mais depuis le début de
cette année, un livre qui a fait fureur en Chine, vendu à
plusieurs centaines de milliers d’exemplaires, et interdit depuis,
restitue une enquête faite dans cette province et montre les
violences des bureaucrates locaux sur les paysans pouvant aller
jusqu’au meurtre…d’où l’ampleur du problème, avec des
révoltes locales, de très nombreuses jacqueries qui
inquiètent évidemment le pouvoir central.
Le système chinois est dans l’incapacité de soutenir ses
paysans dans un contexte de bureaucratie et de pouvoir excluant toute
représentation paysanne.
ENTREE DANS L’OMC
La Chine après un accord
bilatéral avec les USA, suivi par l’UE a fait son entrée
officiellement en 2002 dans l’OMC. Son but est évidemment
favoriser ses exportations, moteur principal du dynamisme de son
économie en faisant une croix sur ses paysans. Voilà pour
sa philosophie globale.
- Les tarifs douaniers
Concrètement les tarifs douaniers
sur ses importations agroalimentaires passe de 22 % en moyenne à
environ 17,5% vers les Etats Unis de 34 % à 14 %.
La Chine met à 1% les tarifs douaniers sur l’importation des
céréales mais à l’intérieur de quotas qui
sont de l’ordre des maxima historiques de ses importations
passées. Au-delà de ces quotas les droits deviennent
prohibitifs de 40 à 65 %. Donc les grandes cultures sont quand
même protégées par ces clauses de sauvegarde.
En fait le défi de cette entrée de la Chine dans l’OMC ne
réside pas tellement dans son ouverture vis à vis de
l’extérieur mais de la réforme de son système
interne de commercialisation des produits agricoles, en chantier depuis
plus de 20 ans.-? La réforme des échanges
Du temps de la collectivisation, tous les
échanges étaient contrôlés par les monopoles
de l’état qui achetaient tous les surplus à bas prix et
les revendaient également à bas prix dans le
système de rationnement aux villes.
Dès que la décollectivisation a été faite,
tout ce système a été remis en cause avec beaucoup
de mal pour le libéraliser. La viande, les produits animaux, les
fruits et légumes sont dans des circuits complètement
privés. Reste le noyau dur des grandes cultures
concernées par le marché mondial. On arrive à une
situation tout à fait paradoxale. Avant l’OMC, les prix à
la frontière étaient inférieurs aux prix
intérieurs et normalement l’ouverture de la Chine à l’OMC
aurait du voir une montée des importations de blé et de
maïs toujours en déficit structurel, ne serait-ce que pour
des problèmes de qualité. Or en 2003 la Chine
exporte de 2 millions de tonnes de blé, 16 millions de tonnes
maïs ! Ce sont en fait des prélèvements sur les
stocks qui viennent d’une politique de commercialisation des grains
complètement folle au cours des 15 dernières
années.
- Les stocks paysans
Les stocks à la ferme sont
montés jusqu’à 280 millions de tonnes en 1998 et les
stocks d’état à 270 millions de tonnes en 1999, soit l’un
plus l’autre équivalant à une année entière
de production. Une étude faite par un chinois fait état
maintenant de stocks à la ferme beaucoup plus bas. Mais avec
50 millions de tonnes de déficit par an, il y a un moment
où cela s’arrêtera.
- Politique de double prix
Depuis 1985, il y a deux types de prix, ce
qu’on appelle en Chine le « double rail »: une
part de quotas obligatoires payables au prix administratif, et les
surplus payés à un prix marché. Les prix de quotas
jusqu’en 1996 augmentaient tout le temps mais restaient toujours plus
bas que les prix de marché et les paysans spéculaient.
Ils faisaient des réserves – 250 millions de tonnes de grains,
c’est énorme, mais divisés par 200 millions de familles,
ça ne fait quelques sacs par famille – et quand ils avaient
besoin d’acheter des engrais, ils vendaient un sac ou deux au lieu
d’aller à la coopérative de crédit qui faisait des
difficultés pour payer. Puis il y a eu une baisse
considérable des prix du marché tombés sous les
prix de quotas, devenus des prix de soutien assurés par
l’état. Mais le budget s’alourdissant, les bureaux des grains
s’endettent et ne répercutent pas aux paysans les sommes qu’ils
sont incapables de leur payer et le système s’effondre, au
début des années 2000.
- Politique de subventions directes
L’état abandonne pratiquement le
système de livraison obligatoire dans les zones riches
très productrices, réduit le quota uniquement aux bonnes
variétés de riz ou de blé puisqu’en
général les paysans vendaient la mauvaise qualité
et remplace ces quotas par des subventions directes. Mais avec le
système des taxes, des surtaxes légales,
illégales, des frais… qu’on fait payer aux paysans, on peut
imaginer que le budget qui est alloué par le gouvernement
central pour leur donner des aides directes n’aboutira probablement
jamais dans leurs poches.
- Réaction paysanne
Le problème est, qu’il n’est pas du
tout évident que les paysans vont remonter leur production. Les
prix remontent cette année, d’environ 20 à 30 %, les
emblavures de blé n’ont pas suivi. Sans incitation
administrative, sans obligation, les paysans vont-ils produire plus que
pour leur consommation propre et les besoins de leur
bétail ? Et alors comment les villes vont-elles se
ravitailler ? Le gouvernement va laisser faire le marché,
mais est ce suffisant pour persuader les paysans, on n’en sait rien,
car on ne connaît pas le niveau des stocks. Si les contraintes
climatiques et l’épuisement de la nappe phréatique
amènent à faire payer l’eau, les paysans du nord ne
livreront plus de blé. Si les paysans ne livrent pas, les USA
sont prêts à livrer leur blé et leur maïs.
Alors il n’y aura plus d’exportations de blé mais de grosses
importations, qui dépasseront les quota tarifaires. La
consommation totale de blé et riz commence à baisser,
malgré le croît démographique, et les consommations
industrielles progressent avec le développement du pays mais
c’est la part du fourrage qui augmente considérablement
- L’élevage
Il y a deux types d’élevage en
Chine : le type d’élevage fermier traditionnel - 200
millions de paysans qui ont un, deux, trois porcs : à peu
près 75 % de la production de porc - et 21 % de gros
élevages intensifs à base de maïs et de tourteaux de
soja. L’élevage paysan va régresser du fait que les
rations urbaines de viande sont le double des rations paysannes, que
les urbains dont le nombre augmente se ravitaillent essentiellement
dans les grands élevages intensifs des banlieues. Pour le
maïs, ces éleveurs arrivent à se ravitailler par la
production nationale, mais pour le soja, le choix des importations a
déjà été fait pour alimenter une industrie
de la trituration en pleine expansion dont la moitié aux mains
de grandes sociétés étrangères.
- Pour les paysans, qu’est ce que ça
va apporter l’OMC ?
Malgré les quotas tarifaires, le
fait d’importer du blé ou du mais va peser forcément sur
les prix intérieurs et les paysans ne peuvent pas compter sur
les cultures pour combler cet écart croissant entre les ruraux
et les urbains, ni sur l’élevage fermier puisque ce sont des
grandes entreprises qui n’ont rien à voir avec les paysans qui
sont concernées. Alors il y aura des
« niches », surtout dans les régions
côtières plus ouvertes au marché mondial, dans les
zones du sud-est dont le climat permet une diversification plus
grande : l’horticulture, l’arboriculture fruitière,
l’aquaculture… Mais il y aura une dualité accentuée entre
des paysans de plus en plus riches sur les zones côtières
qui sont déjà riches et les zones de l’intérieur
qui n’ont pas ces possibilités de diversification et qui vont
donc s’appauvrir. Restent évidemment les revenus non agricoles
et il est clair malheureusement que la seule issue pour les paysans
dans le cadre de l’entrée à l’OMC est de quitter
l’agriculture pour partir en ville, schéma classique en Chine.
- La population rurale
L’émigration rurale en Chine est
difficile à chiffrer : il y a les chiffres de la police, il
y a des enquêtes qui sont faites par le ministère de
l’agriculture dans les villages. Il y aurait environ 100 et 150
millions d’actifs comptés dans les ruraux qui
travailleraient au moins 3 mois par an dans les villes. Mais pour
certains c’est 3 mois, pour certains c’est 6 mois, pour d’autres c’est
toute l’année et ne reviennent qu’une fois par an dans leur
village, On peut compter qu’il y a environ 60 millions d’actifs qui
sont comptés comme agricoles et qui en fait travaillent à
plein temps dans les villes..
La population rurale baisse. Si on exclut les ruraux non agricoles,
dans les petites entreprises, les petits commerçants, si on
enlève une proportion arbitraire de migrants qui ne font plus
d’agriculture, le chiffre passe en dessous des 40 % des actifs totaux,
moins de la moitié des actifs totaux, pour moins de 15 % du
PIB national. La Chine n’est déjà plus un pays
majoritairement agricole. Tout l’enjeu est que la main d’œuvre agricole
diminue le plus rapidement possible, mais dans des conditions qui
soient acceptables pour les migrants.
- La condition des migrants.
Or ces conditions, malheureusement ne sont
pas du tout acceptables pour les migrants. En Chine, il y a un
système très particulier appelé le
« hukou ». Quand on est à la campagne, on
est inscrit dans le registre civil tenu par la police et on a un
livret de famille comme paysan. Un paysan autrefois ne pouvait pas
aller en ville. Maintenant, les paysans peuvent aller en ville, mais
comme ils ont toujours leur livret de famille paysan, leurs enfants
n’ont pas le droit d’entrer dans les écoles, ou s’ils y entrent
ce sont des frais incroyables et prohibitifs, donc pas de
possibilité de s’installer en famille, pas d’accès aux
soins médicaux, ce qui pose des problèmes de santé
énormes que les autorités ne peuvent pas prendre à
bras le corps faute de financement.
Les autorités ne peuvent pas financer les écoles dans les
campagnes à fortiori ne peuvent-elles pas financer l’accueil des
enfants de migrants dans les écoles urbaines. Elles ont
déjà au niveau urbain beaucoup de mal à financer
un système de sécurité sociale et il n’y a que la
moitié de la population des villes qui est vraiment bien
couverte au niveau social. En plus des millions d’urbains au
chômage technique, avec une petite rente par mois, manifestent.
Dans ces conditions, impossible de fournir les services sociaux
à la population migrante, qui pourtant a un rôle essentiel
pour le développement économique puisque c’est elle qui
fournit la main d’œuvre pour le bâtiment, les usines de textile
ou de micro électronique.… mais dont les coûts sociaux
sont reportés sur la famille paysanne. Les paysans, s’il y a
chômage en ville, peuvent retourner à la campagne
où ils ont encore leur lopin qu’ils ont donné à
garder aux amis, donc il y a un système bien affiné et
bien difficile à changer.
- Quel avenir ?
Le système de l’enregistrement civil va être
réformé, le problème n’est pas résolu pour
autant et il semble insoluble. Ce phénomène
d’émigration avait été freiné au cours des
années 85 à 95 par le développement des industries
rurales : les paysans quittaient la terre mais ne quittaient pas
le canton, ils revenaient dans la famille le soir et travaillaient au
petit commerce ou à l’entreprise du canton. Mais ces entreprises
de cantons ou de villages, maintenant, plafonnent au niveau de l’emploi
et doivent faire face à la concurrence du fait de l’ouverture du
pays, à la concurrence des zones côtières où
on fait les mêmes choses à moindre coût, de
façon plus efficiente. Tous ces débouchés ont
permis de retarder l’émigration vers les villes mais maintenant
le seul débouché, ce sont les villes, qui augmenteraient
d’après les sondages de 10 millions par an ce qui est hors de
proportion avec les 300 millions de main d’œuvre agricole qui doit
partir petit à petit.
CONCLUSION
Donc finalement l’entrée
à l’OMC, c’est un pari sur l’avenir. Est-ce que le
développement urbain permis par cette ouverture sur le monde, le
développement des exportations, permettront l’insertion des
paysans ?
COMPLEMENTS EN REPONSES A DES QUESTIONS
Les pertes sont essentiellement des pertes
au niveau des greniers, parce qu’à la récolte les paysans
font très attention. Les pertes sont très limitées
dans les greniers de paysans et se situent surtout au niveau des
greniers de l’état.
La part des engrais humains dans les
engrais organiques n’est pas connue. A Pékin, maintenant tout le
monde a une chasse d’eau, pour des raisons d’hygiène d’une part
et pour des raisons de commodité, cette part des engrais
organiques va diminuant et disparaissant
La Chine est un des pays au monde où
il y a le plus de surfaces en OGM, essentiellement pour le coton. Elle
a des recherches également en maïs, blé, agrumes et
productions diverses, comme au niveau mondial, mais pas encore
d’application de plein champ. Par contre, dans le soja importé,
les 2/3 au moins doivent être en OGM. En 2002, ayant
importé trop de soja, les Chinois ont pris une
législation refusant les nouveaux arrivages dont on ne pouvait
pas suivre la traçabilité des OGM, arsenal
nécessaire à la fois au niveau du commerce
intérieur et au niveau des importations. Mais les Chinois n’ont
aucun moyen de faire respecter cette législation
Les citadins perçoivent les migrants
comme certains chez nous perçoivent les immigrés. C’est
le même racisme, une même dénonciation d’une hausse
de la criminalité. L’argument des urbains comme quoi les
immigrés prennent leur travail est faux. On retrouve la
même distribution du travail que dans les pays
développés, avec les migrants qui prennent la place des
travaux que même les gens qui sont mis au chômage technique
dans les grandes villes ne veulent pas faire : ramassage des
ordures, petits travaux très durs dans les petites usines,
logement en dortoir, isolement de la famille…
La Chine doit être à 1% par an
de croît démographique, c’est un succès. La
planification des naissances imposée en Chine à partir
des années 70 a été très efficace mais
appliquée de façon très différente dans les
villes et dans les campagnes. Dans les villes, de façon stricte,
si on a plus d’un enfant, on perd son travail, bien que dans les
entreprises privées, c’est plus difficile à faire
respecter, mais malgré tout il y a une capacité
policière élevée de contrôle. A coté
les familles paysannes ont 3 ou 4 enfants. Théoriquement, ils
n’ont droit qu’à un enfant. Si c’est une fille, ils peuvent en
avoir un deuxième, après un délai de deux ans.
Ensuite les autres naissances sont « hors plan ».
Dans les villages il y a des tableaux noirs avec le nom des femmes et
leur nombre d’enfants dans le plan et hors plan. Pour une naissance
hors plan il faut payer une amende, en chinois, cela se dit
« le prix de l’âme » mais il est
négociable avec de bonnes relations, avec le secrétaire
du parti… Si on ne peut pas payer l’amende la télé est
confisquée. Mais cela ne change rien parce que plus on a
d’enfants, plus on des chances d’être entretenu.
Il n’y pas de politique agricole au sens
PAC du terme, mais au niveau de l’état, existent des directives
politiques sur le papier, avec un budget dont on ne sait pas
après ce qu’il devient, car il y a plusieurs niveaux et le
niveau provincial correspond à un niveau de type national.
La haute technicité des paysans
chinois n’est pas au niveau de la mécanisation, ni au niveau de
la rentabilisation parce qu’il n’y pas de calcul économique,
mais au niveau de la capacité à utiliser les intrants
biologiques et chimiques de façon fine. Le fait que la
moitié des miniculteurs en Chine emploie des maïs hybrides
montre que déjà il y a en aval tout l’instrument de
multiplication des semences. C’est du jardinage, mais quand on a 1/3 ou
une moitié d’hectare, on connaît son champ par cœur !
La libéralisation de la part de
l’état dans la commercialisation des grains n’arrive pas
à se faire. Au moins les 2/3 sont livrés à
différents types de pris dans différents types de
structures, à des stations d’état. Ces stations stockent
et revendent à des meuniers qui sont pour partie d’état
et pour partie de plus en plus privés et ensuite il y a le
commerce de détail – le sac de farine, les nouilles, les sacs de
riz – qui est en majeure partie privé. La part de la
transformation est limitée en majeure partie à la
meunerie, seule une très faible partie est utilisé pour
faire des biscuits, des pâtes de type industriel…mais elle est
appelée à augmenter avec l’urbanisation, le changement du
mode de vie. Le blé est supposé supplanter le riz parce
que c’est plus facile à manger sous forme de pain …. En fait les
chiffres montrent qu’il y a une stabilité des modes de
consommation, riz et blé
- Les organisations
d’agriculteurs n’existent pas. Il y a bien des organisations
professionnelles de producteurs de champignons, de concombres, de
productions particulières… Mais la filière des
producteurs de blé n’existe pas. En plus évidemment il
n’y a pas de syndicats, pas de chambre d’agriculture. Les actions
paysannes sont interdites et quand il y a révoltes
paysannes, c’est le fait de leaders paysans qui en
général ont des problèmes par la suite !
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