EVOLUTION DES MARCHES DES CEREALES
Par Hervé LE STUM, Directeur de l’AGPB
(Résumé fait à partir des notes prises au cours de
l’exposé du 21 Novembre 2007)
La situation de marché et de politique
économique actuelle est assez compliquée.
- L’IMPORTANCE DU MARCHE
Les céréales constituent un marché mondial
important puisque les échanges concernent
110 Millions de tonnes de blé sur 600 Millions de tonnes
produites et 100 Millions de tonnes de maïs
et de céréales secondaires sur 700 millions produites,
donc un marché qui n’est pas confidentiel
comme peut l’être celui des produits laitiers ou même de la
viande bovine qui représentent 2 ou 3 %
de la production. Depuis 1994 et les accords de Marrakech au niveau de
l’OMC, les politiques
agricoles se sont affaiblies dans à peu près tous les
pays du monde par diminution des soutiens, des
droits de douane, des subventions à l’exportation et aujourd’hui
le marché reflète la confrontation de
l’offre et de la demande au niveau international et les prix
internationaux se répercutent de plus en
plus fortement sur le marché intérieur de chaque pays.
- LA HAUSSE DES PRIX
Au cours de la campagne 2004/2005, les prix sont à peu
près les mêmes à l’intérieur de tous
les grands pays exportateurs comme l’indiquent les bourses de Kansas
City, Chicago, Paris, Budapest
et Buenos Aires. Puis la hausse des prix démarre doucement au
2ème semestre 2006 et se poursuit
pendant toute la campagne 2006/2007 : une hausse
régulière en euros, (soit un peu plus rapide en
dollars). A l’automne 2007, par contre on enregistre cette grande
montée des prix sauf en Argentine
qui a réinstitué les taxes à l’exportation de 5 %
jusqu’à 25 % aujourd’hui. Les prix ont plafonné à
280
€, à la bourse de Paris autour de fin Septembre, début
Octobre. Depuis la situation se détend, les prix
américains chutent, entraînant les prix européens
mais la situation reste plus tendue en Europe pour
des raisons de récoltes très moyennes. Mais il faut
relativiser cette hausse de 160 € à 280 € et ne pas
s’affoler. Depuis 35 ans c’est la 4ème hausse. Après de
longues périodes de 7 à 8 ans avec des prix bas,
tout d’un coup pendant 2/3 ans on connaît une envolée des
prix. La hausse actuelle est historiquement
assez forte, mais du même ordre d’amplitude que celle qu’on a
connue en 1974. Le choc que tout le
monde est en train de qualifier de fort, d’exceptionnel, de jamais
vécu a déjà existé, et les explications
structurelles que donnent certains pour expliquer que les prix ne
redescendront jamais, ont déjà été
avancées !
On doit quand même noter au passage que sur les 25
dernières années les prix à l’exportation
du blé et du maïs à partir des Etats Unis sont
constants en monnaie courante. Ca signifie que les gains
de productivité ont été égaux à
l’inflation sur le dollar.
- LA COMPARAISON MONDIALE PRODUCTION/CONSOMMATION
La comparaison au niveau mondial de la consommation et de la production
par années montre
des périodes de production largement excédentaire
où se constituent des stocks et des périodes où la
consommation est supérieure à la production et où
on déstocke. Nous sommes dans une période de
forte baisse de production (sauf 2004, une année aux conditions
assez exceptionnelles). Les prix du blé
de l’an 2000 jusqu’en 2004 ont été
particulièrement bas. En conséquence, certains abandons
de
cultures, en particulier dans des pays comme l’Argentine qui est
réactif aux prix, et des politiques de
déstockage aux Etats Unis et en Europe ont fait fondre les
stocks. Alors depuis 4 ans la consommation
a été supérieure à la production et
les stocks sont devenus extrêmement bas, à un niveau
catastrophique. Les stocks des 5 pays traditionnellement exportateurs,
c’est à dire Australie,
Argentine, Etats Unis, USA et Canada, en 2 ans, ont perdu 33 millions
de tonnes sur un stock de
départ qui faisait 55/57 millions de tonnes.
- LA POLITIQUE DE L’OMC ET LE PRIX D’INTERVENTION
Les négociations de l’OMC font deux grandes confusions : la
première c’est de parler
agriculture alors qu’ils ne négocient que sur les productions de
grains baptisées agriculture et la
deuxième c’est qu’ils mélangent complètement les
politiques de soutien et les politiques de régulation.
Le prix d’intervention soutient les prix mais il a une autre fonction :
la régulation c’est à dire un filet
de sécurité. Il ne soutient pas la production puisqu’il
est inférieur au coût moyen de la production
(environ 130 et 150 € la tonne). Malgré ça on parle
toujours de démanteler les prix d’intervention en
oubliant complètement leur fonction de régulation de
marché et alors qu’il n’y a plus de stocks
d’intervention en Europe ni aux USA, nulle part dans le monde. Plus un
seul pays ne veut mettre de
l’argent dans la régulation des marchés.
- VOLATILITE DES MARCHES
Dans cette situation la volatilité du marché ne pourra
que s’accentuer. Les deux pays qui ont
perdu beaucoup sont l’Ukraine et l’Australie qui produisaient
près de 80 millions de tonnes à eux deux
et étaient descendus l’année passée à 50
millions de tonnes : soit 30 millions de tonnes de blé
disparues du marché. Ce qui explique tout bêtement et tout
mécaniquement la montée des cours. En
2007 malgré des récoltes qui vont rester faibles sur ces
deux pays, la situation mondiale est en train de
se rétablir : 1 650 000 tonnes de céréales au
niveau de la planète c’est l’équivalent de la très
bonne
année 2004 : au niveau Européen on est beaucoup plus bas
qu’en 2004, mais les USA, sont en train de
battre tous les records grâce à une récolte de
maïs pléthorique et fabuleuse. Donc les prix
reflètent une
tension instantanée sur le marché mais pas une politique
structurée.
- UNE AUTO REGULATION AMERICAINE
Cependant, il faut bien séparer ce qui est court terme de ce qui
est moyen/long terme. Le maïs
n’a pas été entraîné par le blé en
terme de prix mondial. Pour la première fois, depuis plus de 35
ans
pendant une semaine les prix du maïs à l’exportation aux
USA ont été plus élevés que le blé.
Alors
tout le monde a dit : « c’est à cause du
bioéthanol ». En fait aux USA, les feed-lots et les usines
d’éthanol dont certaines sont complètement amorties font
une sorte de régulation de fait. Quand le prix
du maïs devient trop cher, on ne remplit pas les feed-lots et on
arrête les vieilles usines d’éthanol.
C’est le phénomène d’autorégulation du
système de marché américain.
- DEUX MARCHES DU MAÏS
Aujourd’hui deux marchés du maïs cohabitent dans le monde :
le marché avec OGM et un
marché sans OGM. C’est ce qui explique que les
américains, comme les argentins, arrivent si bien à
tourner sur eux-mêmes, car ils comptent sur le marché OGM
et le marché OGM, c’est le prix
américain.
Une seule variété, MONSANTO 810 est autorisée
à la culture en Europe et 5 variétés OGM
sont
autorisées à l’importation, pour nourrir nos animaux. Il
n’y a plus de soja non OGM en importation
européenne, on importe des sojas OGM autorisés à
l’importation et non autorisés à la culture et si
n’autorise pas les nouveaux OGM qui vont être mis en culture en
2008, il n’y aura plus un seul pays
au monde en 2010 qui sera capable de nous fournir en soja.
- LES TENDANCES LOURDES
Après les pics de prix événementiels il faut
revenir aux tendances lourdes. Les trois tendances
lourdes sont :
- la croissance de la population mondiale (9 milliards d’habitants de
la planète à l’horizon
2050),
- la croissance du pouvoir d’achat qui fait qu’on mange de plus
en plus de viande dans tous les
pays du monde
- les utilisations non alimentaires (ce dont tout le monde parle ce
sont les biocarburants qui
affament le monde !).
- LES BIO-CARBURANTS
En face de plus de 2 milliards de tonnes de céréales
produites chaque année sur la planète,
70 millions de tonnes seulement sont consacrées aux
bio-carburants. Le débat viendra peut-être un
jour, mais certaines usines d’éthanol arrêtent au prix des
céréales d’aujourd’hui. Si le pétrole passe
à
100 $ le baril, il y en a peut être qui redémarreront. Un
autre problème : l’éthanol brésilien, fait
à partir
de canne à sucre, donc indépendant du marché des
céréales peut rentrer aux USA, et donc ce n’est pas
favorable pour les producteurs d’éthanol américains. Cet
éthanol brésilien est susceptible d’arriver en
partie en Europe en ne payant que 19 € de taxes.
- LES PROBLEMES DE LA PRODUCTION FRANCAISE
Un quintal par hectare et par an de gain de productivité n’est
plus vraiment acquis chez nous :
effet climat, tassement des quantités d’intrants
utilisés...
Le Grenelle de l’environnement avait 3 sujets importants pour la
céréaliculture :
1° Les OGM, qui seront interdits à la culture,
2° Les produits phytosanitaires, dont les 50 substances
potentiellement les plus dangereuses
doivent disparaître à raison de 30 dans l’année qui
vient et 20 restantes dans les prochaines années, ce
qui va amener à des impasses techniques pour lesquelles on n’a
pas de solutions aujourd’hui.
3 ° Les bio-carburants pour ne pas empêcher les gens de se
nourrir, il ne sera pas interdit d’en
produire mais pas plus qu’aujourd’hui.
Un autre problème est posé par le coût du fret, le
prix des bateaux a été multiplié par 3 entre le
début 2006 et aujourd’hui. Parce que l’Inde et la Chine se
développent il n’y plus assez de bateaux.
Plus l’énergie et le transports seront chers plus cela
renforcera l’intérêt des marchés de
proximité.
Par ailleurs, la qualité sanitaire des céréales
pose d’énormes problèmes en face de normes
édictées par L’UE sur la teneur en
micro-toxines, sans disposer de méthodes fiables,
d’échantillonnage, et d’analyses de ces micro-toxines. Le
paradoxe est que plus il y a d’insectes
foreurs plus il y a de micro-toxines, or les OGM protègent
contre les insectes foreurs avec des résultats
spectaculaires de la dernière récolte de maïs sur
les aspects sanitaires.
Même s’il n’y a pas d’accord à l’OMC, vu
l’échéance des élections américaines,
l’Europe
s’est engagée à supprimer ses restitutions, mais que
peut-on exporter sans les restitutions sinon à des
prix que beaucoup ne considéreront pas comme suffisants par
rapport aux coûts de production. Alors
des idées pointent en termes techniques, en termes
d’économie d’échelle sur la production : optimum
de l’utilisation des matériels, nouvelles techniques de type
satellitaires permettant de protéger
l’environnement, d'économiser des intrants. Jusqu’à
maintenant le système céréalier européen
tenait
parce que l’Allemagne et la France avaient des intérêts
assez communs pour maintenir une agriculture
de modèle familial, mais l’Allemagne n’est plus dans ce jeu, son
coût de production est au niveau du
marché mondial. L’affaiblissement prévu de tout droit de
douane aux frontières menace le maïs
français par l’importation de maïs américain, si
l’interdiction des OGM est levée. Les demandes de
l’alimentation animale européenne bretonnes, hollandaises ou
espagnoles, soit 70 % de la production
de poulets et de porcs de l’UE demandent de supprimer les droits de
douane. Si on continue à interdire
les OGM, la viande de volaille et de porc viendra du Brésil et
des Etats-Unis ce qui empêchera les
producteurs européens de produire.
D’autres discussions sont en cours pour que l’intervention ne soit pas
supprimée, mais
suspendue et puisse être rétablie sur décision de
la Commission. Les systèmes d’assurance peuvent à
la limite garantir le revenu du producteur, mais ne servent absolument
pas de régulateur de marché, au
contraire. Or l’alimentation animale demande une fourniture
régulière à un prix correct d’année en
année, donc un système de régulation par des
stocks, c’est la même demande pour l’éthanol d’ailleurs,
parce que les processus industriels et les investissements ne pourront
pas supporter tous les 3 ans une
montée des prix comme celle que nous connaissons.
La suppression de la jachère n’est pas et n’a jamais
été un instrument de régulation du marché.
Elle rend cohérent le système de DPU, de paiement unique
découplé à l’hectare quelle que soit son
utilisation. L’AGPB n’est pas favorable au plafonnement des aides
puisqu’elle considère que nous
sommes condamnés à faire grandir les tailles de nos
exploitations, mais laisse les allemands et les
anglais se battre sur ce dossier puisque sur 3 000 exploitations
dans l’ensemble de l’Europe menacées
par le plafonnement, il y en a 2000 en Allemagne et 500 en Angleterre.
Ce qui nous inquiète plus c’est
la modulation parce que le deuxième pilier, qui est
à 5 % aujourd’hui peut monter à 13 % dans les
années 2010/2011, concerne des utilisations de
développement rural, aménagement du territoire, en
partie captée par l’agriculture ou par les entreprises
agricoles, le reste partant à l’artisanat, au tourisme,
tout ce qui fait la vie rurale.
On se repose beaucoup de questions autour des assurances parce que
l’assurance est quand
même mieux que rien, mais on quitte alors un système dans
lequel la puissance publique assume la
charge financière de la régulation, à un
système où on demande au producteur de payer d’abord pour
avoir droit à quelque chose après. Cela ne peut pas
être satisfaisant mais si l’hypocrisie précédente
de
modulation devait être mis en œuvre, notre demande serait que
cette modulation n’aille pas vers le 2ème
pilier, mais soit laissée au niveau du 1er pilier pour
réassurer tous les systèmes d’assurance et avoir de
l’argent public disponible pour agir sur la production directement sans
passer par la case
développement rural.
Tout le monde dit, et ce sera ma conclusion, que de toute
façon les prix ne redescendront plus
en dessous de 150 $ la tonne : rendez-vous l’année prochaine !
- DISCUSSION
HLS : On a eu de la part des ONG, des attaques pendant très
très longtemps sur le thème : avec vos
restitutions, vous affamez les pays du tiers-monde parce que vous
empêchez les agricultures vivrières
locales de se développer et maintenant on nous dit, avec vos
prix élevés et votre éthanol, vous affamez
la planète
En reprenant les surfaces qui ont été semées
l’année dernière en céréales sur l’UE, avec
des
rendements normaux, on trouve les 50 millions de tonnes qui manquent au
niveau mondial sans encore
tenir compte ses surfaces semées cette année et des
potentialités du Brésil, de l’Ukraine entre autres.
Pour peu qu’on ait une année climatique favorable, on peut voir
le blé dégringoler d’un seul coup !
Question : les prix déstabilisent-ils la politique commerciale
d’une coopérative : prix moyen ou le
prix marché maintenant ?
HLS : Elles sont complètement déstabilisées.
C’est une autre vision de la coopération. Plus la proportion de
prix de marché est forte dans une
coopérative, plus il est difficile de tenir un prix moyen.
Il y en a qui se débrouillent très bien et sont en train
de devenir des négociants et toutes les
coopératives nord-américaines fonctionnent comme
ça, avec le prix du jour affiché sur une ardoise à
l’entrée du silo!
Les coopératives d’Eure et Loir proposent à leurs
adhérents des formules de vente à terme indexées
sur le MATIF sans que l’adhérent ait besoin de prendre une
option sur le MATIF. Ce qui est très
sécurisant pour un agriculteur qui a une proposition un jour
donné et engage une partie de sa récolte.
C’est la coopérative qui fait le ré arbitrage.
Je pense de plus que notre agriculture française a un
problème : même en supposant qu’on arrive à
remettre en place des systèmes de régulation, même
à supposer qu’on arrive à garder un peu de
profession, on ne peut quand même pas pour les 100 ans qui
viennent, avoir des coûts de production
complètement déconnectés de tout ce qui se passe
sur tous les marchés en dehors de chez nous.
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