LES AGRICULTURES DU MONDE

Vaincre la faim, nourrir 9 milliards d’habitants

 

                     Claude PLAI (Octobre 2022)

 

 

Avertissement : Pour voir les diapos qui accompagnent ce texte, veuillez télécharger à l’aide du lien suivant : Diapos

 

Cette présentation est issue de la réflexion d’un groupe de travail, Agri-monde (1), créé en 2003 au sein de l’association Interactif.

Nous avons bâti ce support de conférences à partir des publications de Marcel MAZOYER et Laurence ROUDART (Histoire des agricultures du monde-Editions du Seuil…) Ce support a été enrichi par des apports successifs issus de nombreuses publications et récemment celle de Marion GUILLOU et Gérard MATHERON (9 milliards d’hommes à nourrir-Editions François Bourin). Fin 2015 nous avons bénéficié d’une participation de Marcel Mazoyer à notre groupe.

Nous vous proposons, après une présentation de la situation alimentaire et des agricultures du monde, d’analyser le processus d’appauvrissement des paysans. L’agriculture peut-elle nourrir 9 milliards d’habitants, avec quels territoires, quels moyens, quelles adaptations techniques et environnementales quelles conséquences pour l’emploi, quelle organisation économique au sud. Quelles conséquences au nord ? Ces sujets sont traités en 7 points :

1. Le scandale de la faim (diapos 3 à 8)

Dans le monde 1 personne sur 10 souffre de la faim (source FAO). C’est en Asie Pacifique que nous trouvons la plus grande partie des plus malnutris (56%), mais c’est en Afrique sub-saharienne que la proportion est la plus importante avec en moyenne 20% de la population concernée. Pour certains pays en région sub-saharienne cette proportion est proche de 50%.

Depuis 50 ans, le nombre de sous-alimentés est pratiquement stable. Dans cette période, la population de monde a doublé ce qui se traduit par une diminution de la proportion des malnutris (26 % de la population en 1970, 10 % en 2021). Cette baisse relative n’est pas suffisante et ne répond pas aux engagements des 180 chefs d’Etats réunis à Rome, en 1996, dans le cadre de la FAO.

Enfin près de 70% de ceux qui ont faim appartiennent à des familles paysannes (ils représentent 40% de la population totale). En Afrique et en Asie, c’est environ 60% de celle-ci qui est rurale.

2. Les Agricultures du monde (diapos 9 à 19)

La description des agricultures du monde est basée sur les 3 types d’agriculture décrits par Marcel MAZOYER et Laurence ROUDART.

  1. La révolution agricole dans les pays développés.

Elle concerne peu d’actifs agricoles (environ 15 millions) mais elle a connu au cours de ces 60 dernières années des gains de productivité très importants. En céréales celle-ci a été multipliée par plus de 100 grâce à des moyens nouveaux : fertilisation, sélection, protection des cultures et mécanisation et la productivité par travailleur peut atteindre 2000 tonnes par an.

Pour l’illustrer, nous avons reporté (diapos 12 et 13) l’évolution des rendements et prix du blé en France depuis 1900. Depuis la seconde guerre les rendements ont été multipliés par 5 et les prix divisés par 3 à 9 selon les années (la part du budget des ménages français destinée à l’alimentation a été divisée par 2 en 50 ans (diapo 15). La mécanisation a permis de multiplier par 20 ou 30 la surface travaillée par actif. En productions animales la productivité a également beaucoup progressé. Ces progrès ont entraîné une forte diminution des actifs et des exploitations agricoles. Ainsi, en France, en un siècle plus de 90 % de celles-ci disparaissent allant, sous l’effet de la mécanisation, agrandir d’autres exploitations.

  1. La révolution verte.

Les agriculteurs utilisent aussi des plantes sélectionnées, des engrais et des produits de traitement mais ne sont pas ou très peu mécanisés. C’est dans cette catégorie que l’on trouve le plus grand nombre d’actifs (près de 800 millions). La majorité de ceux-ci travaillent à la main (0.4 à 1 hectare) ou en culture attelée (jusqu’à 5 ha par travailleur). Leur productivité par ha est proche de la catégorie précédente mais la productivité par travailleur est nettement plus faible de l’ordre de 10 à 50 tonnes par an en céréales.

  1. Les agricultures orphelines.

Cette dernière catégorie compte près de 500 millions d’actifs. Elle utilise souvent des animaux ou des plantes non sélectionnés sans engrais ni traitement et travaille à la main. En céréales la productivité par travailleur est d’environ 1à 2 tonnes.

Elles n’ont pas eu les moyens de se développer et souvent se situent dans les régions arides et rencontrent de grandes difficultés pour subsister.

En conclusion ces agricultures sont très diverses par leurs moyens de production. Sur 1,3 milliard d’actifs agricoles (570 millions d’exploitations agricoles dont 77% ont moins de 1 ha), près de 1 milliard travaillent à la main puisque l’on compte environ 30 millions de tracteurs et 300 à 400 millions d’animaux de trait. Cette diversité de moyens induit des écarts de productivité énormes. Or dans un marché mondialisé les prix sont les mêmes pour tous alors que certains actifs produisent jusqu'à 2000 fois plus que d’autres. Les moins productifs n’arrivent même pas à produire en quantité suffisante pour nourrir leur famille ou dégager un revenu.

3. Le processus d’appauvrissement (diapos 20 à 23)

Après 1945 les pays développés ont conduit des politiques de développement agricole avec des prix soutenus et une modernisation des exploitations agricoles faisant appel à la mécanisation et à la recherche publique et privée pour accroître les facteurs de production (génétique, engrais, protection). Cette augmentation de la productivité s’est accompagnée d’une baisse des prix compensée par les gains de productivité puis par les politiques de soutien.

Dans les années 70 la libéralisation de la circulation des capitaux et des marchandises a permis l’émergence d’une agriculture capitalistique sur de grandes surfaces avec une main d’œuvre bon marché (ex. Brésil…).

La libéralisation des politiques agricoles et des échanges internationaux (négociations du GATT puis des accords de l’OMC en 1994) ont permis à des investisseurs de profiter de cette libéralisation pour créer de grands domaines dans les pays où la terre et la main d’œuvre sont bon marché.        

Les émeutes de la faim en 2007-2008, dues à l’augmentation des prix agricoles, ont incité certains pays à assurer leur sécurité alimentaire (ex. Chine…) et des investisseurs à tirer profit de cette situation. Ceci se traduit par un accaparement des terres en Afrique notamment.

Le ciseau productivité x prix (augmentation de la productivité pour certains qui leur permet de dégager un revenu, mais baisse des prix pour tous) a entraîné une érosion des revenus pour des centaines de millions d’agriculteurs. En période de prix bas ces grands domaines sont les seuls à pouvoir produire au cours mondial (diapo 22) et viennent d’abord concurrencer les agricultures familiales du sud mais aussi les agricultures familiales du nord. Celles-ci disposent de politique de soutien (PAC, Farm Bill…) mais les agricultures du sud n’ont pas cette protection et subissent la concurrence de ce marché mondial qui ne concerne que 10 à 15% de la production agricole

Cet appauvrissement des paysans les plus démunis entraîne la malnutrition, l’exode rural (50 millions d’actifs quittent la terre chaque année) et même l’immigration pour raisons économiques lorsqu’ils n’ont plus rien à perdre.

4. L’accaparement des terres (diapos 24 à 28)

Il constitue en lui-même un sujet de réflexion. Il est seulement effleuré dans cet exposé pour en rappeler l’importance. 50 à 80 millions d’ha sont concernés (4 à 5 % des terres cultivables) par des accapareurs aussi divers que des états ou des investisseurs privés. Cet accaparement, qui perdure actuellement, se traduit sans doute par une augmentation de la production agricole, mais au bénéfice de qui et avec quelles conséquences pour les populations agricoles locales et l’environnement ?

5. Nourrir 9 milliards d’habitants (diapos 29 à 36)

Depuis 1950 la population mondiale a été multipliée par 3 et la production agricole par 3.5. C’est un effort de productivité presque aussi important qui reste à accomplir puisqu’il faudrait doubler la production agricole des années 2000 pour nourrir correctement 9 milliards d’habitants en 2050.

Si dans de nombreux pays ou régions il est possible d’augmenter fortement la production agricole, dans d’autres pays des progrès importants ont été réalisés et la marge est plus faible. D’autre part il faudra tenir compte des contraintes environnementales. Cet accroissement des disponibilités alimentaires se fera par l’accroissement des rendements mais aussi par une augmentation des surfaces cultivées dans les pays ou région où des terres peuvent être mises en cultures : Amérique du sud (Brésil, Argentine, Colombie, Bolivie…), Afrique (Congo, Soudan, Angola…), Pays de l’ex URSS…

L’étude INRA-CIRAD apporte un éclairage intéressant dans la mesure où elle allie :

  • Une réduction des pertes (gaspillage lors de la consommation au nord, pertes lors du transport et du stockage au sud), celles-ci sont évaluées actuellement à environ 30 % de la production.
  • La prise en compte de l’environnement par une maîtrise des facteurs de production et une réduction de l’utilisation des produits de traitement.
  • Le changement de comportement alimentaire pour les populations développées avec une réduction de moitié des aliments d’origine animale, notamment en viande rouge.

Ces propositions visent une disponibilité alimentaire de 3000 kcal par personne et par jour dans toutes les zones. Cet objectif est atteint par une augmentation des surfaces cultivées de 580 millions d’ha (essentiellement au détriment des pâtures) et une augmentation des rendements, faible dans les pays de l’OCDE et en Asie, beaucoup plus forte en Amérique latine et en Afrique sub-saharienne.

6. Emploi et organisation économique (diapos 37 à 43)

L’O.I.T. estime qu’il manque 900 millions d’emplois dans le monde. Henri ROUILLE D’ORFEUIL (Académie d’Agriculture) estime qu’il faut créer près de 2 milliards d’emplois pour absorber, d’ici 2050, l’augmentation de la population et l’exode rural potentiel. Avec 60% de l’emploi en agriculture dans certains pays d’Afrique ou d’Asie (contre 3% chez nous) le maintien de l’emploi dans une agriculture familiale est souhaitable.

Il faut mettre en place, pour chaque pays ou chaque ensemble régional, une politique de souveraineté alimentaire visant à couvrir le maximum de besoins. Cela nécessite des budgets de formation, de recherche et d’investissements importants pour permettre aux agriculteurs de se nourrir, d’augmenter la production agricole pour permettre à ceux qui le souhaitent de rester au pays.

Investir et produire en sécurité n’est possible qu’avec une garantie de prix. Seule la sécurité économique permettra aux paysans d’augmenter leur production (exemple le soutien des prix agricoles européens des années 1960 à 1992). On ne peut pas mettre en concurrence, dans un marché mondial, des agriculteurs ayant une productivité par travailleur allant de 1 à plus de 1000. D’autre part les fluctuations du marché sont catastrophiques pour les producteurs marginaux (cas des producteurs de maïs au Mexique).

Cela passe donc par des protections douanières qui peuvent être régionales. C’est le contraire de la politique de l’OMC. Ces protections douanières doivent être suffisantes pour protéger le revenu des producteurs mais peuvent être flexibles (c’est-à-dire être abaissées) pour éviter que les prix des denrées alimentaires deviennent prohibitifs pour les populations pauvres.

Pour illustrer l’intérêt d’une garantie de prix intérieurs nous avons pris deux exemples : la politique agricole commune en Europe de 1962 à 1992 et les accords de libre-échange Nord-Américain au Mexique (diapo 44).

La Politique Agricole Commune, en établissant une protection douanière et une politique de prix minimum interne (soutenue par des prix d’intervention), a permis un prix suffisant pour les producteurs et raisonnable pour les consommateurs. Cette sécurité par les prix a permis aux paysans européens de se développer et à l’Europe déficitaire de devenir exportatrice nette pour de nombreux produits agricoles.

 Dans les années 80 le Mexique était autosuffisant en maïs, la production étant assurée par de nombreux petits producteurs. En 1994 les accords de l’ALENA ont ouvert la frontière mexicaine au maïs américain (subventionné). Le prix du maïs a baissé au Mexique mais entre 1994 et 2004 environ 1.3 millions de producteurs de maïs ont dû abandonner leur métier. Aujourd’hui le Mexique importe près de la moitié du maïs consommé, un maïs dont le prix a doublé depuis 2004 (production d’éthanol aux Etats –Unis, augmentation du prix des céréales) entrainant un prix de la tortilla insupportable pour les pauvres.

7. Conclusion (diapos 44 et 45)

Résoudre le problème de la faim, développer l’agriculture vivrière, tendre vers la souveraineté alimentaire ne peuvent être atteints sans une prise de conscience au nord comme au sud. Le libéralisme économique débridé (exemple du maïs mexicain) est néfaste pour les producteurs. L’industrialisation de l’agriculture (latifundistes, accaparement des terres…) priverait de travail des centaines de millions de paysans dans un monde miné par le chômage.

La malnutrition actuelle, l’augmentation démographique prévisible et l’évolution des ressources énergétiques mondiales nécessitent une augmentation de la production agricole, une diminution des pertes et gaspillage d’aliments, des changements de comportements alimentaires.

 Cette augmentation de la production agricole doit être durable en ce qui concerne l’utilisation des engrais, les produits de traitements, les rotations et les entretiens organiques des sols si l’on veut tenir compte des contraintes environnementales. L’agriculture biologique, séduisante pour ses aspects environnementaux, ne permet pas de nourrir le monde et ne peut pas constituer une solution généralisable. L’agriculture agroécologique peut mieux assurer ce compromis.

Nous devons, nous au nord, prendre notre part en réduisant les gaspillages, de revoir notre consommation de protéines d’origine animale, d’accepter de payer les produits importés (café, thé, bananes, cacao, coton…) à un prix qui permette aux paysans du sud de vivre de leur production. En cela le commerce équitable constitue un modèle intéressant.

Les pays du sud doivent mettre en place des politiques agricoles qui aillent vers la souveraineté alimentaire en aidant l’agriculture à se développer (prix, formation, investissements dans le stockage et le transport, financement…).

Enfin au niveau international il faut protéger l’agriculture par grandes zones économiques, en créant des marchés régionaux, protégés par des droits de douane, permettant des prix intérieurs suffisants pour assurer aux producteurs la sécurité financière. C’est le modèle européen mis en place des années 1960 à 1992.

 

Cette organisation des marchés par grande zone économique homogène et l’investissement en formation, recherche, moyens de production et stockage sont des objectifs prioritaires pour les pays en voie de développement.

Sans négliger l’aide d’urgence et le soutien des actions de développement, il faut par les prix agricoles redonner du pouvoir d’achat à près de la moitié de l’humanité. Le commerce équitable va dans ce sens et constitue une amorce de solution. Plus de pouvoir d’achat pour les paysans pauvres c’est : réduire la faim, diminuer l’exode vers les bidonvilles et l’immigration clandestine, augmenter la croissance économique locale et mondiale

 

Les membres du groupe Agri-monde sont à votre disposition pour vous présenter ce diaporama. Leur intervention est bénévole, sauf frais de déplacement.

 

Liste des membres conférenciers et adresses mail :

 

Ont également participé à ce groupe de travail : Jacques MAUMENE, Jean LE BOHEC, Joseph MARCHADIER, Christian LELONG, Hubert BOUCHET, Alain MOREL, Denis BOISSEAU