HISTOIRE DE LA GÉNÉTIQUE DES PLANTES
APPLIQUÉE A L'AGRICULTURE

Le 15 Octobre 2010
Joseph Marchadier




Depuis qu'il pratique l'agriculture, probablement 10 000 ans en Europe, l'homme a cherché à améliorer les espèces végétales ou animales qu'il a cultivées ou élevées. Dans un premier temps, la technique utilisée a consisté à multiplier les sujets présentant les caractères les plus intéressants.
Chez les végétaux, cette multiplication a été obtenue soit par bouturage, autrement dit clonage qui assure une reproduction du végétal à l'identique soit par le semis des graines prélevées sur les meilleures plantes. Mais une graine semée donne généralement une plante qui n'est pas l'exacte copie de la plante-mère tant que la lignée, ou variété, n'est pas fixée.  Cette particularité peut être un inconvénient mais elle peut être, aussi, source de progrès.
Ainsi, au cours des siècles et des millénaires, les végétaux sont-ils devenus très différents des espèces sauvages dont ils étaient issus. La carotte du jardin n'ayant plus grand chose à voire avec la carotte sauvage ! L'homme a donc utilisé sans le savoir un processus naturel auquel tous les organismes vivants sont soumis : l'évolution. Progressivement, au cours des générations successives, les végétaux cultivés se sont adaptés à ses besoins et aux conditions de culture.
Ces améliorations très lentes, ont été réalisées empiriquement, sans connaissance des processus biologiques en action. Ce n'est que très récemment que l'homme a commencé à comprendre le fonctionnement du vivant et à se servir de ses découvertes pour améliorer l'efficacité de la sélection. Citons quelques grandes étapes :

1676 Découverte du rôle des organes sexuels chez les végétaux
1880 Visualisation des chromosomes
1900 Mise en application pratique des lois de Mendel sur l'hérédité des    caractères
1908 Découverte de l'intérêt des hybrides chez le maïs
1953 Découverte de la structure en double hélice de l'ADN
1977 Découverte du transfert de gènes par les bactéries

 

La sexualité des plantes source de progrès
On fait passer des gènes d'une espèce à l'autre
Les mutations, une loterie pour le progrès
Les mutations maîtrisées
L'homme et le blé, une histoire édifiante
L'adaptation des plantes aux besoins des hommes, une histoire qui va continuer

 

LA SEXUALITÉ DES PLANTES SOURCE DE PROGRÈS

Dès qu'il a su comment les végétaux se reproduisaient, l'homme a cherché à effectuer des croisements pour tenter de rassembler, dans une même variété, les avantages présents dans des lignées différentes de la même espèce. Ainsi, commençait-il à laisser une place moins importante au hasard pour progresser. Les caractères recherchés étant présents chez les parents, les chances de les retrouver chez les descendants augmentaient.
En 1900 d'abord, un pas décisif est franchi : les lois de Mendel enseignent la manière dont les caractères héréditaires se transmettent. On comprend alors pourquoi, dans la descendance issue d'un croisement, certains caractères subsistent, d'autres disparaissent. On devient alors capable de calculer les probabilités d'obtenir le résultat recherché en croisant deux lignées possédant chacune une qualité intéressante. Les croisements peuvent enfin être raisonnés.
Puis très tôt, en 1908, en effectuant des croisements, on s'aperçoit que certaines espèces présentent une particularité intéressante : l'effet hybride.
Par exemple, quand on croise deux lignées de maïs, il arrive que la première génération présente des caractéristiques agronomiques très supérieures à celles de ses parents. Ce phénomène est aujourd'hui largement utilisé pour de nombreuses espèces. Il présente  cependant un inconvénient qui limite son emploi : la semence doit être rachetée chaque année par les agriculteurs. Car seul le semencier détient les deux géniteurs à l'origine de l'hybride.
Grâce à ces deux découvertes, les entreprises de sélection peuvent alors espérer une rentabilité : les initiatives se multiplient. Celles qui pourront se spécialiser dans l'hybridation, plus complexe à organiser que la production de lignées pures,  se développeront plus vite et deviendront plus puissantes.
L’utilisation des deux types de semences par les agriculteurs est très différent. Les lignées pures sont stables au cours des générations successives, les agriculteurs peuvent donc garder une partie de la récolte pour semer l’année suivante. Sous réserve de précautions concernant la conservation et le traitement de la semence contre les maladies cryptogamiques, les chances de réussite restent identiques.
Au contraire, dans le cas des hybrides, seule la première génération qui suit le croisement est intéressante. Si l’on sème une partie de sa récolte, 50% seulement de la semence donnera des plantes conformes à l’hybride, l’autre moitié donnera des plantes qui auront les caractères des parents ne bénéficiant d’aucun effet hybride. Donc, l’agriculteur doit impérativement acheter la semence chaque année


ON FAIT PASSER DES GÈNES D'UNE ESPÈCE À L'AUTRE

Les croisements dirigés ne peuvent se pratiquer qu'à l'intérieur d'une même espèce, c'est à dire chez des plantes capables de se reproduire entre elles et de produire des plantes elles-mêmes capables de se reproduire. Mais certains caractères intéressants chez une espèce ne se trouvent pas forcément dans ses différentes variétés.  On a donc cherché le moyen de faire passer des gènes d'une espèce à l'autre.
C'est dans les années 50 que des généticiens ont commencé à pratiquer des croisements interspécifiques. Par exemple, on a croisé le blé et le seigle pour profiter de la productivité du blé et de la rusticité du seigle. Cela a donné le triticale, largement cultivé aujourd'hui dans les régions françaises aux conditions de culture difficiles.
Des manipulations sophistiquées ont, de leur côté, permis d'introduire un gène de résistance au piétin-verse (maladie cryptogamique) dans le patrimoine génétique du blé en croisant ce dernier avec l'ægylops, un lointain ancêtre du blé qui, lui, possède ce gène.
Ces exemples montrent que le transfert de gènes d'une plante à une autre, même si elles appartiennent à des espèces différentes, ce qui n'arrive théoriquement jamais dans la nature, ne date pas d'hier.
Malheureusement, le transfert de gènes par croisement est une opération longue et coûteuse : il va falloir fixer les caractères intéressants pour qu'ils subsistent au cours des générations successives et éliminer les parties de génomes indésirables qui se sont invitées au cours de l'opération. On pratique donc pour cela des croisements consanguins successifs, puis on trie à chaque génération les individus intéressants.



LES MUTATIONS SOURCES ALÉATOIRES DE PROGRÈS


Les croisements ont néanmoins une limite : ils ne permettent pas l'apparition de caractères nouveaux au sein d'une espèce. En revanche, chez celle-ci, des mutations spontanées apparaissent au fil des générations :des gènes sont modifiés, des gènes nouveaux apparaissent.
A cela, différentes causes : des facteurs physiques, telle l'action d'ondes électromagnétiques (rayons cosmiques, rayons X, rayons issus de radioéléments), des facteurs chimiques comme l'action d'agents mutagènes, ou bien encore, des causes accidentelles lors de la formation ou de la fusion des cellules reproductrices.
Ce phénomène de mutation a donc été utilisé pour tenter de provoquer l'apparition de caractères intéressants chez les espèces. C'est ainsi que dans les années 1970-1980, de nombreux lots de semences ont été confiés aux centres d'étude atomique afin d'être irradiés dans l'espoir d'obtenir des mutations.  Or, celles-ci peuvent donner, au hasard, des individus intéressants ou sans intérêt. Les sélectionneurs ont alors recherché, dans la descendance des semences irradiées, les plantes éventuellement porteuses des caractères recherchés. Plusieurs variétés de riz ont été obtenues de cette façon.


LES MUTATIONS MAITRISÉES


En 1960, on découvre le code génétique des êtres vivants. Il est constitué par un arrangement de 4 bases azotées le long de l'hélice d'ADN. Ce sont ces mêmes 4 bases qui codent tous les êtres vivants connus. Seul leur nombre et l'ordre de leur distribution sur l'hélice d'ADN varient d'une espèce à l'autre.
En 1977, on découvre que les bactéries peuvent transférer un gène d'une espèce à une autre. La voie est ouverte pour le génie génétique, c'est à dire l'introduction raisonnée d'un gène utile dans le patrimoine génétique d'une espèce qui ne le possède pas à l'état naturel. Des transferts de gènes jusque là inimaginables allaient pouvoir être réalisés. De plus, il devenait possible de limiter le transfert à un seul gène ou à un groupe de gènes bien identifiés. On venait de découvrir ce qu'on appelle aujourd'hui les Organismes génétiquement modifiés: les OGM.
Les premières applications seront médicales. C'est ainsi que l'on fabrique aujourd'hui l'insuline destinée aux diabétiques. Celle-ci ne produit plus aucun des effets indésirables provoqués par l'insuline issue du porc utilisée antérieurement.
Depuis 20 ans, de nombreuses applications de ce procédé ont été développées dans le domaine de la microbiologie.
Les sélectionneurs produisant des semences pour l'agriculture ont naturellement cherché à profiter de ces découvertes pour continuer, de façon encore plus efficace, le long travail d'amélioration des plantes destinées à l'alimentation.


L'HOMME ET LE BLÉ UNE HISTOIRE ÉDIFIANTE


Tout ce dont l'homme a besoin aujourd'hui ne préexistait pas dans la nature.
Avant que l'homme ne pratique l'agriculture, le blé n'existait pas.  Les archéologues n'ont jamais trouvé de blé à l'occasion de fouilles de sites antérieurs à 12000 ans. On a donc soupçonné que le blé avait  été façonné empiriquement par l'homme à partir d'une plante sauvage présente au Moyen-Orient et dont nous avons déjà parlé : l'ægylops.

Dans les années 50, des chercheurs de l'INRA, curieux de vérifier cette hypothèse, ont entrepris de reconstituer du blé en partant de l'ægylops. L'entreprise est difficile : l'ægylops a 14 paires de chromosomes tandis que le blé en a 21. Qu'à cela ne tienne, ils ont les outils (l'utilisation de la colchicine) pour passer de 14 à 21. Il est inutile de décrire ici le détail de leurs travaux. Le résultat est qu'en 20 ans, ils sont parvenus à reconstituer un blé moderne. En 20 ans, ils ont réalisé le parcours que l'homme obstiné, avec la complicité de la nature, avait effectué en 12 000 ans.
Mener une telle recherche n'était pas seulement un exercice de style. Elle a aussi permis de récupérer quelques gènes de résistance aux maladies cryptogamiques, présents chez l'
ægylops, que le blé avait perdu au fil des siècles.

CONCLUSION


Depuis 10 000 ans, le processus d'amélioration des plantes n'a jamais cessé. Il n'y a aujourd'hui aucune raison pour qu'il s'arrête. Au contraire.
Actuellement, la recherche de l'équilibre économique mondial  impose que l'on produise des denrées alimentaires avec moins d'énergie, moins de produits phytosanitaires, moins d'engrais, moins d'eau, Â…
Or, imaginer maintenir une agriculture performante avec les variétés actuelles, dans ce cadre nouveau, relève de l'utopie. C'est pourquoi, il va falloir impérativement et rapidement:
- augmenter la résistance naturelle des variétés aux maladies,
- trouver le moyen de faire utiliser l'azote de l'air par les plantes, et notamment le blé,  ce que seules les légumineuses sont capables de faire de nos jours,
- introduire chez les plantes cultivées des gènes de résistance à la sécheresse ou à la salinité des sols.
     Seul le génie génétique permettra d'atteindre ces objectifs. Et encore, ne sont évoqués ici que les problèmes de l'agriculture des pays tempérés riches.
 Réfléchissons à la manière dont pourront être nourris les 3 milliards d'hommes supplémentaires qui vont s'inviter à la table mondiale d'ici 40 ans. Quelques soient les scénarii imaginés, il faudra mobiliser toutes les ressources de la génétique

     C'est pourquoi il est absolument nécessaire de continuer  à adapter les végétaux nécessaires à la survie de tous les habitants de la planète.
Comprenons, qu'au cours du temps, l'évolution des génomes est une constante et que seules les méthodes pour modifier ces génomes ont changé au fur et à mesure de l'acquisition de nouvelles connaissances. Toutes sont allées  dans le sens d'une meilleure efficacité et d'une meilleure maîtrise des produits obtenus.
Il est d'autre part très important  de ne pas laisser les grandes entreprises multinationales confisquer le progrès génétique. Or si l'on continue à anéantir les travaux des centres de recherche français, publics et privés, c'est exactement ce qui va arriver.
Pour un pays comme le notre, dont les compétences scientifiques et techniques en matière agricole sont mondialement reconnues, ce serait une ruine des intelligences. Ce serait aussi un grand risque d'être un jour condamné pour avoir œuvré contre l'humanité.

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