LE POINT SUR LA SECURITE SANITAIRE DES ALIMENTS
Octobre 2013
Alain MOREL
Introduction
L’alimentation a toujours été une des préoccupations première de l’homme, qui pour survivre a besoin de manger.
La perception du risque alimentaire qui, actuellement signifie plutôt la peur de l’aliment nocif dans notre assiette, existe depuis des siècles. La sécurité (autrefois appelée sûreté) comportait deux facettes. L’une essentielle concernait la quantité et la régularité de l’approvisionnement ; l’autre portait sur la salubrité des aliments.
Même si dans le passé, le souci principal était l’approvisionnement en nourriture, l’aspect sécurité sanitaire était aussi pris en compte. Ainsi de nombreux interdits religieux reflétaient la préoccupation d’éviter certaines maladies (ex : le ténia du porc, l’alcoolisme…).
Par ailleurs tous les aliments douteux par leur aspect (moisissures, attaques d’insectes), et leurs odeurs ont toujours été plus ou moins écartés de l’alimentation humaine.
Le fait de manger n’est pas anodin et ce n’est pas non plus qu’une question de survie. Les aliments sont chargés de symboles, l’alimentation a toujours eu un côté sacré (ou magique), convivial et associée à un côté plaisir. Les religions, les cultures et les traditions ont façonné nos habitudes alimentaires, ont conditionné nos goûts.
Après les crises alimentaires et les débats récents sur les OGM, les consommateurs sont de plus en plus inquiets et ne se sont jamais posés autant de questions sur la qualité des aliments qu’ils retrouvent dans leurs assiettes.
Jusqu’au milieu du 20ème siècle, en Europe, la notion de risque alimentaire concernait essentiellement la lutte contre la faim et le risque de pénurie. Les tickets de rationnement distribués juste après la deuxième guerre mondiale témoignent de cette réalité et marquent aussi la fin de cette époque.
De nos jours, en absence de pénurie et avec des ressources alimentaires excédentaires, le risque est très différent. Dans un contexte d’abondance, la sécurité alimentaire a pris un sens nouveau. Le souci d’une quantité insuffisante a laissé place à des interrogations vis à vis de la qualité de la nourriture que nous absorbons. Ainsi actuellement deviennent sujets de préoccupations : les risques bactériologiques, chimiques, mais aussi ceux induits par l’utilisation de nouvelles technologies (la conservation sous vide, sous atmosphère modifiée…).
Aujourd’hui, on parle moins de sécurité alimentaire mais plutôt de sécurité sanitaire.
Les 20 dernières années ont été marquées par un certains nombre de crises alimentaires (Vache folle, dioxine, listériose, salmonellose…) qui ont créé un sentiment de méfiance des consommateurs vis à vis du contenu de leur assiette. Leur rapport avec les aliments a été profondément modifié. Ils sont passés d’une certaine insouciance vis à vis de la sécurité alimentaire (situation des années 80, où régnait plutôt une ambiance de « tout sécuritaire ») à un état d’inquiétude vis à vis de leur alimentation.
Cette « peur » a gagné rapidement la majorité des français. Une étude du CREDOC montre qu’entre 1997 et 2000, le nombre de français, estimant que les produits alimentaires représentent un risque pour la santé, est passé de 3/10 à 7/10.
Dans une autre étude plus récente réalisée par l’IFOP pour Advanced Track § Trace (juin 2010), seuls 11% des français ont totalement confiance dans la qualité des produits alimentaires qu’ils achètent ! Cette étude montre une réelle inquiétude chez les consommateurs qui sont près de la moitié (48%) à considérer que la qualité des aliments s’est détériorée au cours des dix dernières années.
La sécurité sanitaire est devenue une préoccupation permanente chez le consommateur et elle est entretenue régulièrement par les médias qui n’hésitent pas à amplifier le moindre incident sans toujours faire la part des choses.
Par ailleurs, il est à noter que c’est surtout le risque chimique qui inquiète le plus les consommateurs. Le risque bactériologique, sur lequel les industries agro alimentaires communiquent beaucoup positivement, est peu évoqué par ces mêmes consommateurs.
Les années 50 ont été suivies par une longue période de tranquillité et d’abondance. Le problème de la quantité disponible en denrées alimentaires a laissé place au problème touchant à la qualité et à la santé. De nombreuses actions et dispositifs réglementaires ont été mis en place pour répondre à ce besoin de qualité des produits agricoles.
Une forte sensibilisation
Les lois d’orientation agricoles de 1962, en renforçant, en particulier l’enseignement agricole, ont permis à un plus grand nombre de ruraux de s’initier aux techniques d’amélioration de la qualité des produits agricoles ainsi qu’aux nouvelles règles d’hygiène. L’enseignement primaire a aussi participé à l’amélioration de la qualité des aliments en inculquant des principes d’hygiène aux enfants dès leur plus jeune âge.
C’est aussi à cette époque du début des trente glorieuses que la technique de conservation des aliments par le froid s’est fortement développée, notamment dans les campagnes. L’arrivée des congélateurs (parfois collectifs dans un premier temps) a permis de garantir une meilleure qualité des aliments conservés
Une réglementation adaptée et partagée
En concertation avec la profession agricole, des standards de qualité (de minima et de référence) ont été mis au point et utilisés par les pouvoirs publics comme moyen de sélection et de contrôle des produits alimentaires. Le but principal de la réglementation dans ce domaine de la qualité étant la sauvegarde de la vie humaine : avant tout, il s’agit de préserver le « mangeur » d’intoxications provoquées par des agents pathogènes contenus dans les denrées alimentaires. C’est le respect de la qualité bactériologique qui a orienté les premières dispositions réglementaires. L’inspection sanitaire des aliments s’est articulée autour de trois principes : salubrité des matières premières ; lutte contre la contamination des denrées ; lutte contre le développement des micro-organismes de contamination.
Dès le début des années 80, dans le cadre de la construction du marché unique européen, des démarches ont été entreprises pour harmoniser les réglementations sanitaires entre les pays membres. A cette occasion, la définition des standards ( les « normes ») et l’organisation du contrôle (la « certification ») ont été redéfinis , souvent à la hausse pour s’aligner sur les pays les plus exigeants en matière de qualité.
Suite à cette harmonisation des réglementations européennes, les entreprises et les artisans se sont vus imposer des obligations d’amélioration ou de rénovation de leurs outils de travail (laboratoires de fabrication, normes d’élevage…).
Ainsi la réglementation sanitaire a évolué et a permis des progrès pour garantir la sécurité sanitaire des aliments que nous consommons tous les jours. Au milieu du 20ème siècle personne n’aurait imaginé des produits réfrigérés sur tous les marchés locaux !
De nombreuses preuves officielles de qualité
La référence à l’origine du produit a constitué une innovation majeure dans la politique de la qualité. Un système juridique a légalisé la réservation exclusive de la référence à l’origine des produits pour signaler des produits spécifiques garantis « originaux », « authentiques », « de qualité supérieure », « naturels»… Dans ce système, les caractéristiques du produit, les particularités du lieu, les modes de production…sont codifiés. Au début des années 90, ces certifications officielles de qualité sont au nombre de quatre : l’AOC met en exergue la « typicité », le Label Rouge la « qualité supérieure » à caractère « fermier », l’ « Agriculture biologique », un mode de production sans produits chimiques, la Certification de conformité des produits (CCP) la constance d’une spécification.
Face à ces preuves de qualité (certifications officielles) surtout réservées aux producteurs, la stratégie des marques commerciales s’adapte et vient aussi en concurrence. Les certifications officielles signalent par ex la qualité particulière d’un produit liée à des modes de production, un terroir…Par contre les grandes enseignes insistent plutôt sur le côté standardisation, innovation des produits.
Les récentes crises de confiance alimentaires ont amené les consommateurs à s’intéresser davantage à l’origine des produits, et à leurs conditions de production.
Dans cette optique, la grande distribution s’est rapidement adaptée en attirant l’attention des consommateurs sur les méthodes de production. Les marques « Filière Qualité Carrefour » ou « Terre Saveur » de Casino oeuvrent dans ce sens.
Depuis une dizaine d’années, les préoccupations environnementales se font plus fortes et viennent un peu troubler la notion traditionnelle d’origine (très liée aux certifications officielles de qualité), mais elles contribuent à renforcer la qualité des produits. En effet, la préservation de l’environnement et des ressources naturelles passe par un renforcement de l’agriculture raisonnée et de l’agriculture de précision. Ce qui se traduit, en particulier, par moins de produits chimiques utilisés.
Rappelons que dans ce domaine des améliorations ont été mises en œuvre pour limiter et optimiser l’utilisation de ces produits depuis plus de 20 ans : retrait du marché de produits dangereux, « réhomologation » d’anciennes molécules, développement d’opérations de communication (phytomieux…), améliorations dans l’application des produits phytosanitaires….
Développement des démarches d’assurance qualité
Suite aux crises alimentaires des années 90, de nouveaux principes de maîtrise de la qualité (comme la méthode HACCP…) ont été diffusés et développés. C’est ainsi que la logique de la prévention systématique des sources de « non-qualité » a été appliquée à tous les stades de la production, notamment dans l’industrie. Auparavant, une ou deux étapes seulement du processus de production étaient sous assurance qualité (ex : la livraison), maintenant toutes les étapes y sont soumises afin d’éviter tout problème.
Les démarches d’assurance qualité se sont donc développées et renforcées à la fois dans les filières de production (pour maîtriser le produit du champ à l’assiette, ex avec la démarche Agri Confiance initiée par les coopératives agricoles) et au niveau global (ISO 9000, certifications diverses…) dans les entreprises agroalimentaires mais aussi dans les exploitations agricoles.
Toutes ces démarches qui combinent des contrôles internes et externes (audits) sont là pour garantir la qualité sanitaire des produits alimentaires conformément aux objectifs définis.
Progrès dans les outils et techniques de contrôles
Elle est loin la période où les contrôles qualité se limitaient à un simple inspection (visuelle) pour s’assurer que le produit était « sain, loyal et marchand » !.
Dans le domaine de contrôle de la qualité des aliments, d’énormes progrès ont été réalisés tout au long des dernières décennies. Les outils de contrôles sont plus simples à utiliser et sont devenus très précis pour la détection de molécules, de bactéries nocives ou de virus recherchés.
Avec « l’industrialisation » des méthodes de production et de transformation les phases de contrôle ont été rationalisées dans le but d’homogénéiser les lots et de vérifier la conformité aux standards minima. C’est dans les entreprises de transformation agroalimentaire que le contrôle est le plus précis car il s’appui systématiquement sur des méthodes statistiques et des plans d’échantillonnage.
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Par ailleurs les contrôles sur la qualité des produits (livrés ou commercialisés) se sont renforcés et parfois automatisés au fil des années, dans les industries agro alimentaires mais aussi à l’échelle de l’exploitation agricole.
Pour faciliter les contrôles et leur cohérence, l’AFSSA (Agence Française de Sécurité Alimentaire) a été crée en 1999. Cet établissement est chargé, en tout indépendance et transparence, de surveiller et d’évaluer les risques possibles de contamination, d’informer et d’alerter les pouvoirs publics et les consommateurs.
La traçabilité :
Jusqu’au milieu des années 90, la traçabilité n’était appliquée que pour les produits relevant de certifications officielles de qualité. Depuis les systèmes de traçabilité ont été améliorés et généralisés pour mieux garantir la qualité sanitaire des produits alimentaires. Rappelons que la traçabilité est un système d’information capable de décrire le cheminement du produit, de son origine à son utilisation finale. Elle est définie par une norme internationale (ISO 8402) comme « l’aptitude à retrouver, l’historique, l’utilisation ou la localisation d’une entité au moyen d’identifications enregistrées ». Elle permet en cas d’anomalies, de retrouver rapidement la source du problème, de rechercher les responsabilités et de prendre les mesures nécessaires pour éviter de nouveau les erreurs commises. Elle se révèle donc indispensable pour assurer le maintien et le suivi de la qualité sanitaire, et la sécurité des produits.
La traçabilité facilite le respect du principe de précaution qui s’applique en cas de danger pour la santé publique.
CONFIANCE
Les éléments rapportés dans le chapitre précédent montrent les nombreux efforts réalisés pour maîtriser la qualité sanitaire des aliments depuis près d’un demi siècle.
De l’avis des experts, l’alimentation n’a jamais été aussi sûre et aussi diversifiée.
L’élucidation des causes d’intoxications alimentaires s’est considérablement améliorée au cours des dernières décennies et leur nombre est en nette régression. Il y a beaucoup moins de toxi-infections que jadis quand la transformation était limitée et que la distribution restait surtout locale. Le botulisme, par exemple, a pratiquement disparu. Les pouvoirs publics ont développé et modernisé leurs moyens d’investigation pour détecter plus précisément les produits à risque à l’aide de plans de surveillance.
Cependant, toutes les précautions prises actuellement n’empêchent pas que des accidents peuvent se produire (ex contaminations de viande hachée, de certains fromages par Escherichia coli rapportées de temps en temps par la presse). D’où une certaine prudence de la part des responsables sanitaires.
Mais globalement, on n’a jamais mangé aussi aseptique, constate le sociologue Claude Fischler.
Curieusement, en dehors de ces crises, ce ne sont pas les bactéries ou les virus qui inquiètent les consommateurs mais les produits chimiques : les « pesticides », les additifs, les conservateurs… Cette peur du « chimique » a évolué avec la connaissance des molécules et de leurs propriétés mais aussi avec la capacité que l’on a aujourd’hui à les détecter. Conscient de la présence de nombreuses substances chimiques dans son assiette, le consommateur a de plus en plus peur même s’il s’agit de traces. Cette peur est donc souvent irrationnelle.
Face à une sécurité sanitaire de plus en plus contrôlée et fiable, paradoxalement, les consommateurs sont de plus en plus méfiants. Une phrase revient souvent dans la bouche des consommateurs « On ne sait plus ce qu’on mange ! ».
Pourquoi cette perte de confiance? Plusieurs raisons peuvent être avancées :
- les crises alimentaires très médiatisées et les discours sur la « mal bouffe » ont modifié la relation que les individus entretenaient avec leur alimentation. En quelques années, la confiance et l’insouciance à l’égard de qualité sanitaire a laissé place à un état de suspicion et de méfiance. Ainsi en 1997, 55% de Français pensaient que nos aliments présentaient des risques légers ou importants ; 4 années plus tard, 70% partagent cette opinion !
- le consommateur achète de plus en plus de plats préparés et de moins en moins d’aliments de base comme des fruits et légumes à l’état brut. La consommation en produits transformés et de plus en plus élaborés amène à brouiller la perception du consommateur : il ne sait plus très bien ce qu’il mange. Il ne connait plus les produits qui ont été utilisés, (il a peur, en particulier, de ce qui est nouveau) , il ne sait rien de leur origine et encore moins de celui qui les a produit ! Ces produits sont devenus des Objets Comestibles Non Identifiés (OCNI) selon l’appellation du sociologue Claude Fischer.
- Dans les sociétés où la sécurité sanitaire atteint un très haut niveau, on a peur de son assiette. L’explication de cette inquiétude se trouve en partie dans le domaine des sciences humaines et les croyances de l’homme vis à vis de son alimentation.
- La peur a toujours été associée à l’alimentation. Et dans cette peur, coexistent deux types d’anxiété (de peur), celle de la pénurie et celle du poison c’est à dire de la qualité. Selon M. Ferrières, la peur qui se porte sur la quantité et celle qui touche à la qualité varient grossièrement en sens inverse, mais c’est la peur de manquer qui est première. Ainsi en période d’abondance, comme c’est le cas actuellement, c’est la qualité sanitaire qui devient la peur dominante.
- Certains courants de la sociologie de l’alimentation considèrent l’anxiété comme un invariant de notre rapport aux aliments. Pour Fischler, il existe une contradiction entre l’obligation biologique de consommer une alimentation variée et la contrainte culturelle de ne pouvoir manger que des aliments connus, socialement identifiés et valorisés ( paradoxe de l’«omnivore »). Cette contradiction génère une anxiété qui est structurelle et doit être régulée sans cesse, notamment à l’aide de la culture culinaire.
Les nombreux moyens de contrôles mis en place, les améliorations techniques et technologiques récentes ont permis d’énormes progrès dans la maîtrise de la qualité sanitaire des aliments. Le risque sanitaire n’a jamais été aussi peu élevé dans toute l’histoire de l’humanité.
Malgré ce constat les consommateurs qui sont très liés à tout ce qui touche à leur alimentation, restent très méfiants.
Pour les rassurer et limiter leur anxiété, ils ont besoin de connaître l’origine de tel légume, comment il a été cultivé ou comment a été élevé tel animal.
La Traçabilité des produits peut aussi contribuer à compenser l’identité perdue des produits alimentaires auprès des consommateurs.
Pour rétablir la confiance du consommateur, il est aussi indispensable de l’écouter, de mieux l’informer sur les modes et les conditions de production, de lui expliquer à l’aide de méthodes pédagogiques adaptées , ceci d’autant plus que le domaine de l’alimentation comporte toujours une part d’irrationnel.
L’Etat et les industries agro alimentaires ne sont les seuls responsables de ce malaise. Il faut aussi que le consommateur fasse des efforts pour bien se nourrir.
Le fait de manger n’est pas un acte anodin :
le consommateur doit faire attention à ce qu’il mange, en choisissant des produits de bonne qualité, en refusant d’acheter certains produits industriels mauvais ce qui incitera les industriels à modifier leurs produits.
Remarque :
Par ailleurs, même si le consommateur rapporte des produits de qualité dans son panier, il reste toujours responsable de son alimentation (qui doit être variée et équilibrée) :
- par ses choix d’aliments (viande, poissons crus...avec le risque de parasitoses)
- par le non respect des principes d’hygiène (nettoyage insuffisant du réfrigérateur et risque de listériose)
- par le non respect de la chaine de froid (risques de toxi-infections avec la pâtisserie, la mayonnaise…).