L’HISTOIRE DU TRAVAIL DU SOL
Janvier 2014
Bernard Gaillard et Joseph Marchadier
Les premiers agriculteurs ont sans doute commencé leur activité dans des régions présentant spontanément des conditions favorables.
C’est le cas de la vallée du Nil où les conditions particulières permettaient une agriculture sans travail du sol. En effet, les crues débarrassent le sol de sa végétation spontanée et le gorgent d’eau. Dés que l’eau se retire, il suffit de semer et l’eau résiduelle associée au soleil font le reste.
Ces conditions étant relativement rares, l’homme a vite compris que le travail du sol est un élément essentiel pour favoriser la culture au milieu de la végétation spontanée. Là où la nature ne fait pas tout le travail, il a du recourir à des techniques plus compliquées.
Cet article n’a pas l’ambition de retracer l’histoire complète du travail du sol mais de montrer, à l’aide de quelques épisodes, comment l’agriculteur a su adapter ses pratiques en fonction des évolutions sociales et des connaissances techniques de son époque.
Quel est le but du travail du sol ?
Un sol fertile n’est jamais nu longtemps, il est couvert de ce qu’il est convenu d’appeler la végétation spontanée. Implanter une culture choisie par l’homme consiste donc à lui donner un avantage par rapport aux plantes présentes à l’état sauvage.
Il s’agit donc d’abord de détruire la végétation spontanée.
Ensuite, il faut créer un « lit de semence » offrant les conditions favorables à la germination des graines à semer. Placées à une profondeur de 3 à 5 cm dans une terre d’autant plus fine que les graines sont petites, elles seront à l’abri des prédateurs et dans des conditions d’humidité et de température favorables à la germination.
Enfin un sol ameubli améliore la circulation de l’air et de l’eau favorable au bon développement ultérieur des plantes
La houe et l’iler, les ancêtres des outils aratoires.
Les premiers outils de travail du sol connus sont la houe et l’iler.
La houe, qui existe depuis l’époque du Néolithique, est constituée d’un soc en acier et d’un manche en bois relativement court (1m à 1,20). Cet outil est tiré.
L’iler est un outil polyvalent de travail du sol et de désherbage, utilisé en Afrique sahélienne ; elle est constituée d’une lame arrondie à l’avant, munie de deux ailes latérales et d’un long manche de bois. Elle travaille le sol plus superficiellement que la houe et nécessite moins de force de traction. Elle est tirée et poussée. Elle fonctionne comme une ratissoire ou râteau.
Le choix de ces outils dépend beaucoup des contextes de sols et de la sociologie des utilisateurs, comme l’a montré D. GUILBAUD de l’Institut de Recherche pour le Développement, dans l’histoire du travail du sol au Sahel.
La houe fait un meilleur travail agronomique, mais nécessite une position courbée pénible pour l’utilisateur. L’iler fait un travail plus léger et moins fatiguant ; elle était prisée des couches sociales dominantes, contrairement à la houe, outil de travail des pauvres.
Avec la traction animale apparaissent l'araire et la charrue. La première arrache les mauvaises herbes et ameublit le sol en surface. La seconde, grâce à un ensemble coutre, soc et versoir, découpe une tranche de terre superficielle et la retourne, ce qui a pour résultat d’enfouir les végétaux présents en surface au moment du labour et d’accélérer leur décomposition. Initialement en bois, ces outils ont été construits en métal dès que la maitrise de la production du fer est apparue.
Connue dès le 2ième siècle avant J.C, la charrue a connu, en Europe, un développement important à partir du 13ième siècle grâce à l’attelage des chevaux.
La charrue au siècle des lumières
Jusque là, les constructeurs de charrues possédaient un savoir faire empirique et tentaient de résoudre les difficultés au fur et à mesure qu’elles se présentaient.
La traction animale a permis de labourer avec des charrues de plus en plus lourdes. Toutefois, le laboureur avait du mal à maintenir la direction et la profondeur de labour. On a alors ajouté un train avant muni de roues qui supportait le poids de la charrue et permettait d’obtenir le travail désiré par des réglages simples. Mais l’ensemble de l’appareil devenait ainsi de plus en plus lourd.
Au 18éme siècle, le rationalisme gagne tous les secteurs d’activité. Le labour n’y échappera pas. C’est l’agronome lorrain Mathieu de Lombasle qui au début du 19éme siècle étudie scientifiquement le jeu complexe des forces qui s’exercent sur une charrue au travail.
La pénétration dans la terre provoque une résistance horizontale à l’avancement , en avançant, la charrue va avoir tendance à sortir de terre ou au contraire piquer en profondeur suivant son inclinaison. Il faut donc trouver l’équilibre pour avoir une profondeur de labour régulière. Enfin, le versoir dont le rôle est de retourner la terre a tendance à faire tourner la charrue en sens inverse autour de son axe.
L’étude précise de toutes ces forces a permis à Lombasle de concevoir une charrue qui par le jeu de ses réglages reste stable ce qui permet d’utiliser toute l’énergie disponible à la traction.
Le nombre d’animaux nécessaire pour la tirer pouvait être ainsi réduit. De même, la suppression de l’avant train allège le poids de l’outil et permet un travail plus profond.
1/ Age 2/Système d’attelage 3/Dispositif de réglage 4/Coutre 5/Pointe 6/soc 7/Versoir
Mais la charrue retourne toujours la terre du même côté,. Le laboureur va donc devoir organiser un circuit pour limiter les déplacements sans travail et associer les aller et retour de façon à obtenir un profil de labour conforme à ses souhaits.
Un type de labour largement répandu a été le labour en planche qui utilise l’un des deux circuits présentés sur la figure 1 et dont le résultat final est indiqué sur la figure 2.
Chaque planche en général d’une dizaine de mètres de large est séparée de sa voisine par un creux permettant un bon écoulement de l’eau en excès.
Figure 1
Figure 2
On retrouve encore aujourd’hui la topographie laissée par le labour en planches dans beaucoup de parcelles non drainées des régions aux sols humides, comme la Lorraine ou les Pays de La Loire.
Mais ce type de labour est difficile à bien exécuter et l’avantage d’un bon drainage n’est pas justifié en toute région et tout type de sol. La plus grande économie de déplacements sur le champ et la plus grande simplicité d’exécution est obtenue par le labour à plat, c’est à dire un labour où tous les sillons sont renvoyés du même côté. L’ensemble de la parcelle présente un aspect uniforme.
Charrue brabant
C’est pourquoi au milieu du 19éme siècle apparaît la charrue brabant ou réversible qui est composée de deux charrues identiques montées autour d’un axe. Au bout du sillon, le laboureur fait pivoter l’ensemble autour de l’axe et il peut revenir sur ses pas en creusant le sillon suivant.
Au fur et à mesure de l’augmentation de la puissance des tracteurs, les constructeurs vont proposer aux agriculteurs des charrues pouvant creuser plusieurs sillons à chaque passage. On parle de charrues à 4 corps ( socs) , 6 corps …Ces dispositifs ont permis de faire des économies de main d’œuvre et de profiter au mieux des jours disponibles pour réaliser les travaux dans de bonnes conditions.
A l’heure de la robotisation
Le travail du sol poursuit son évolution technologique à un rythme toujours plus grand. L’informatique se loge partout et aujourd’hui l’agriculteur est informé en permanence sur l’écran de son tracteur si des forces anormales s’exercent sur ses outils, si sa consommation de carburant est normale, si tel organe est usé et dans quel délai il doit être remplacé.
Le guidage par GPS permet de maitriser parfaitement la trajectoire du tracteur au point que dans un avenir proche il ne serait pas étonnant que l’agriculteur surveille le travail de son tracteur depuis son bureau.
La préparation du lit de semences
Le labour est généralement insuffisant pour obtenir un lit de semences satisfaisant. D’autres outils doivent être utilisés pour émietter la terre en surface ou éventuellement la tasser. Le choix des outils est fonction de la nature de la terre, de son humidité et bien sûr de la taille des semences utilisées.
Une grande variété d’outils est disponibles: la herse, les disques, les rouleaux,…Certains sont souvent associés en train d’outils, attelés ou non au semoir.
Exemple: Le covercrop lourd à repliage hydraulique de GREGOIRE BESSON.
Parallèlement, avec le développement de l’agriculture biologique, la préparation des sols et le désherbage mécanique ont bénéficié de nouveaux matériels comme les bineuses et les herses étrille.
La simplification du travail du sol
L’intensification des cultures après la seconde guerre mondiale, répondant aux besoins impérieux de nourrir la population européenne, s’est accompagnée, grâce à un matériel de plus en plus performant, de l’accroissement des surfaces labourées.
Si la charrue a régné en maître depuis Mathieu de Dombasle, c’est aux Etats Unis, dans les années 20 qu’est née la prise de conscience de modifier le travail du sol, suite à des catastrophes climatiques (ADEME, Impacts environnementaux de la gestion des sols, 2008).
En effet le labour favorise le ruissellement de l’eau et la prise au vent ce qui rend les sols plus sensibles à l’érosion. La résolution des problèmes de désherbage par l’industrie chimique et la mise au point de nouveaux semoirs ont alors permis aux « farmers » américains de développer les techniques de culture sans labour. Ces techniques ont ensuite fait tache d’huile au Brésil et en Argentine.
C’est à la fin des années 70 que ces pratiques ont commencé à se développer en France. Les sols y sont beaucoup moins sensibles à l'érosion qu’aux Etats Unis, mais le développement de la production du maïs dans les régions céréalières a rendu nécessaires des outils de travail rapide du sol. En effet, le maïs se récolte à une époque où il faut déjà semer le blé et ceci alors que les jours disponibles pour intervenir sur les parcelles diminuent fortement en raison des intempéries.
L’outil qui a permis cette rapidité d’intervention est arrivé en France dans les années 70 : c’est le sémavator. Il s’agit du nom de marque d’un outil qui effectue simultanément un travail superficiel du sol et le semis. Ce type de matériel a permis un semis de céréale en présence d’un volume important de débris végétaux, ce qui est le cas après la récolte du maïs grain.
Aujourd’hui, l’agriculteur dispose de toute une panoplie de solutions pour préparer sa terre. L’augmentation considérable de la surface par travailleur, la diversification des assolements, la nécessaire maîtrise de la consommation d’énergie, le souci de limiter le tassement des sols par de trop nombreux passages d’outils, sont autant d’arguments en faveur de la simplification.
Cette évolution a conduit ARVALIS à expérimenter dés la fin des années 60, les effets à long terme de travaux simplifiés sans labour par rapport aux travaux traditionnels. Certaines conclusions peuvent d’ores et déjà être tirées.
Du côté positif, nous l’avons déjà mentionné, les risques d’érosion et de ruissellement sont réduits. L’accroissement du taux de matière organique dans l’horizon travaillé du sol favorise une meilleure rétention de l’eau et améliore le taux de matière organique.
Enfin, le stockage du carbone, plus important en absence de labour diminue les émissions de CO2.
Du côté négatif, c’est d’abord et avant tout la nécessaire augmentation de l’emploi de produits herbicides et des risques accrus de pollution des sols et des eaux.
Dans certaines rotations, comme celles à base de blé et de maïs ou en monoculture de maïs, la présence de matière organique et d’eau en surface favorise le développement de champignons, comme les fusariotoxines.
Enfin, il semble que les émissions de N2O soient plus importantes avec les techniques simplifiées de travail du sol qu’avec le labour.
Pour un certain nombre d’agriculteurs et de techniciens, la maitrise des cultures avec des techniques limitant le travail du sol, voire sans travail du tout, associée à la couverture permanente du sol, constitue la base de l’agriculture dite de conservation.
Cette nouvelle conception de l’agriculture n’est toutefois pas simple à mettre en œuvre et ne peut s’appliquer que dans des contextes sol-climat-plante bien particuliers, après avoir fait l’objet d’expérimentations et de mises au point.
Fort de tous ces arguments, c’est l’agriculteur qui fait ses choix en fonction de son système de cultures, sa disponibilité en temps, son environnement technique …Dans le domaine du travail du sol, plus que dans d’autres, il n’y a pas de recette ni de solution unique.
Montre moi comment tu laboures, je te dirai qui tu es
Ce parcours historique montre qu’à toutes les époques de l’humanité, le travail du sol en agriculture a été au centre de la réflexion des acteurs, qu’ils soient praticiens ou chercheurs.
Il a de tout temps matérialisé la perception par l’homme de sa relation avec le support nourricier qu’est la terre.
Si le travail du sol a été au cœur des innovations technologiques, notamment dans les années récentes, il n’en reste pas moins que les évolutions se sont faites lentement, sur de grandes périodes où l’agriculteur a cherché à s’adapter sans cesse et le plus finement possible, à la diversité des milieux et des climats.
Il reste que le labour est probablement le travail agricole le plus emblématique. Un labour bien fait est non seulement source de bonnes récoltes, mais il constitue un signe visible du soin que l’agriculteur porte à son travail. Chaque année, des concours de labour au niveau local, régional et national sont organisés par les jeunes agriculteurs afin de favoriser l’émulation pour le travail bien fait. La multiplicité des façons recherchées et la grande variété des conditions de sol permettent à chacun la possibilité de faire la preuve de son talent.