Evolutions futures de l’Agriculture « des signaux faibles aux tendances lourdes »
Indicateurs des évolutions prévisibles de l’agriculture
 
Hubert BOUCHET et  Jean-Paul PREVOT
 
Septembre 2015
 
 
 
L’évolution de la société s’est accélérée après la seconde guerre mondiale. L’accès de plus en plus facile à l’énergie motrice (quelle qu’en soit son origine et souvent considérée comme inépuisable) rend les déplacements des biens et des personnes extrêmement aisés. Les distances ne sont plus un obstacle en raison des moyens de communication physiques ou dématérialisés (comme Internet) et les échanges se multiplient au niveau mondial. Les progrès technologiques, sanitaires, médicaux contribuent à favoriser une croissance démographique rapide dans les zones qui accusaient un retard relatif par rapport aux pays occidentaux, comme l’Asie et l’Afrique en particulier. Cette évolution n’est pas sans conséquences sur la modification des milieux naturels. Elle vient s’ajouter à des phénomènes inexorables dont l’occurrence et l’ampleur sont encore difficiles à quantifier comme l’évolution du climat ou la montée des eaux. Les pays occidentaux s’interrogent sur la conduite à tenir  pour organiser une économie basée sur la croissance, dans le sens d’une valeur ajoutée permettant de poursuivre les progrès attendus démocratiquement par un maximum de personnes, tout en préservant un cadre de vie « sain » ; ce que certains qualifient de modèle « durable ».
 
Cet article n’a pas pour objectif de donner des solutions à ces grands défis qui nous attendent, mais de relever les frémissements, les modifications qui tendent à s’amorcer dans le domaine de la production agricole et de l’alimentation pour anticiper ce que pourrait être l’agriculture dans quelques années : c’est ce que nous avons nommé les « signaux faibles ». Il ne s’agit en aucune façon de porter un jugement de valeur sur ces évolutions, mais d’essayer de s’en tenir uniquement à des faits tangibles. C’est dans un esprit positif que sont relevés un certain nombre de signes avant-coureurs, avec l’hypothèse qu’ils pourraient avoir des prolongements dans la future agriculture française. Car, face à un contexte qui évolue, les réponses de la société se construisent progressivement sans qu’on en ait obligatoirement conscience à l’instant présent. A côté de ces frémissements, dont on ne peut pas mesurer l’importance future, il n’est pas possible de passer sous silence les « tendances lourdes » qui se dessinent aujourd’hui, mais qui peuvent aussi ne plus être d’actualité demain.
 
L’objectif de cette synthèse est de vous proposer, dans un premier temps, une compilation d’un certain nombre de faits. Ce travail sera poursuivi, dans un second temps, par une interprétation plus prospective de la situation en tentant d’ébaucher les évolutions probables de l’agriculture française.
 
Nous avons pu relever les tendances suivantes en essayant de les regrouper en deux thèmes : le volet sociétal et le volet scientifique,
 
 
A - Sur le plan sociétal et des attitudes de consommation où la demande qualitative remplace le souci de l’accès à la nourriture : (Remarque : il s’agit du contexte français)
 
-       La diminution du nombre des agriculteurs, la sophistication des techniques de production, l’industrialisation des procédés de transformation (pour des raisons économiques, de rentabilité, pénibilité du travail, normes sanitaires, etc.) conduit à une méconnaissance des réalités du métier d’agriculteur par le grand public et tout particulièrement par les jeunes qui n’ont plus de contact avec cette activité.
 
-       La recherche d’une mise en œuvre facile et agréable des repas, ainsi que le besoin de s’assurer contre un maximum de risques tend à standardiser les modes de production et les habitudes alimentaires.
Tri automatisé des tubercules de pomme de terre. Photo JP Prévot
 
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De plus, la facilité des déplacements pour les personnes, des échanges pour les marchandises (transports maritimes et aériens) et des idées (échos sur les réseaux sociaux – l’anglais devient universel) se traduit par une mondialisation et une uniformisation des pratiques.
 
-       L’industrialisation des procédés dans l’agro-alimentaire rend d’une part, celle-ci opaque aux consommateurs et d’autre part, tend à concentrer les risques sanitaires, statistiquement beaucoup plus rares qu’autrefois, mais en les exacerbant lorsqu’ils se produisent : Ex. les scandales de la vache folle ou la présence de viande de cheval dans certaines préparations. Par réaction et du fait de la judiciarisation générale, la Société est de plus en plus « risquophobe ».  (Ces risques, non choisis, sont ressentis comme imposés par l’industrie et concentrent l’opposition de certains consommateurs. Ils sont moins acceptés que d’autres types de risques, pourtant beaucoup plus réels, tels que les accidents par exemple dans le domaine des transports, des sports ou la consommation de tabac). Le principe de précaution devient un principe d’abstention proche parfois de l’obscurantisme. Ainsi, certains consommateurs deviennent plus méfiants vis-à-vis des industries agro-alimentaires que de la grande distribution. On veut savoir ce qu’on mange, donc connaître la composition des produits.
 
-       La conséquence de cet état de fait engendre un besoin de se réapproprier son alimentation. (Voir l’exemple en Angleterre « incredible edible » à Todmorden :
 http://www.incredible-edible-todmorden.co.uk/) Todmorden est connue pour être la première ville à avoir lancé l'initiative en 2008. Au départ de cette petite expérience d'autosuffisance alimentaire est donc né le mouvement qui prend une ampleur internationale… L'autonomie alimentaire, dans un esprit fraternel et de coopération, est donc au cœur de la réflexion et de l'action des « Incroyables Comestibles » et le concept s'intègre à celui de ville en transition auquel 475 villes du monde ont déjà adhéré. (Source : Wikipédia 2014).
Des tendances se dessinent dans ce domaine avec le retour du « produire soi-même » ou du sur-mesure (renaissance du potager – remarque : le jardinage est une activité traditionnelle française ; cf. l’étude France AgriMer : http://www.franceagrimer.fr/content/download/9007/57492/file/Conf-FAM-jardins02122010.pdf). C’est une réaction à la standardisation où s’inscrivent des tentatives individuelles, semi-collectives ou solidaires et locales, dans les espaces laissés par les productions industrielles et la grande distribution. Mais, cette production ne pourrait être « qu’un art de vivre » plutôt qu’une réelle réponse aux besoins alimentaires de tous. Néanmoins, il est intéressant de constater l’écho dans les médias de l’intérêt nouveau porté à la préparation des repas (cuisines du terroir, cadre plus ou moins sophistiqué des arts de la table). Cette analyse est également faite par la grande distribution qui interroge les consommateurs pour l’élaboration de nouvelles gammes de produits.
 
Une autre dimension émerge dans ce besoin de proximité avec la production alimentaire (exemple des AMAP), c’est celle de valoriser des espaces disponibles en milieu urbain. Commencée par des murs végétalisés dont l’objectif était d’abord plus esthétique ou lié à l’environnement, cette tendance se poursuit avec de mini-productions de légumes, de champignons ou même de miel, rencontrant un fort écho médiatique.
Poulailler Cosy + Enclos 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
C’est aussi le cas de la mode des petits poulaillers avec deux ou trois poules, utilisant les ordures ménagères recyclables, qui relèvent plus de l’animal de compagnie et dont les contraintes le confine plus à la campagne qu’en ville. Il est toutefois nécessaire de rappeler un seul chiffre pour relativiser cette dernière information : 1 829 400 tonnes, c’est le total de la production de volaille de chair en France en 2014 et qui couvre approximativement la consommation nationale (source : Agreste). Nous sommes loin des 4 poules dans le jardin. http://agreste.agriculture.gouv.fr/IMG/pdf/conjinforap201503avic.pdf
 
 
-       Des approches plus techniques voient le jour, comme « l’aquaponie » mêlant aquaculture (élevage de poissons) et hydroponie (culture sur support artificiel et solution nutritive ; dans le cas présent, il s’agit du recyclage et de la valorisation des eaux de l’élevage de poissons). 
Cette activité est possible à différentes échelles. Pratiquée depuis l’antiquité en Mésopotamie ou dans des rizières en Asie, elle est proposée dans le « jardinage de balcon », répondant plutôt à un souci esthétique (aquarium) avec une pseudo-production de produits frais dans une mini-serre, sans un réel objectif de rentabilité.
Remarque : L’absence de cette préoccupation de rentabilité, mais aussi de contraintes sanitaires ou réglementaires à cette échelle, contribuent à laisser croire au citadin que certaines techniques sont transposables dans le domaine de la production agricole, ce qui les éloigne encore plus des réalités concrètes de l’agriculture.
 
-       Avec l’objectif d’une organisation plus « durable » de la société et de la préservation de l’environnement ainsi que des ressources naturelles, le recyclage des produits manufacturés s’accroît : la perception du gaspillage devient plus évidente en particulier pour les produits alimentaires. Des activités solidaires ont pour objectif de collecter les produits invendus, approchant des dates limite de péremption, pour les mettre à disposition des plus défavorisés.
 
-       La notion de partage pour faire des économies fait son chemin. La société de consommation engendre toujours plus d’objets ou des denrées mis au rebus occasionnant des surcoûts importants et qui deviennent difficilement supportables pour certains. La facilité de mise en contact des individus via Internet explique aussi le développement d’attitude d’échange ou de troc. (C’est aussi le cas pour la mise en place de nouveaux services comme le covoiturage). Les enquêtes mettent en évidence une baisse de la générosité désintéressée, mais une montée du partage parce qu’on y trouve un intérêt.
 
-       L’attention apportée à soi va croissante, mais en parallèle ont émergé des attitudes solidaires (Restos du cœur, milieux associatifs à vocation humanitaire, téléthon,…).
 
-       Cette attention portée à soi se traduit par un besoin de personnalisation aussi dans le domaine de l’alimentation : alimentation sur-mesure. Les progrès de la médecine et de la diététique prendraient de plus en plus en compte les besoins spécifiques de chaque individu : le cas des incompatibilités alimentaires induit de nouvelles gammes de produits (exemple des produits sans gluten ou de ceux enrichis en oméga 3). Cette évolution des habitudes alimentaires se prolonge jusque dans la notion d’alicaments (Voire les attitudes extrêmes comme l’orthorexie, c’est-à-dire  l’obsession du manger sain). Mais il faut relativiser cette demande sociétale du sur-mesure, car on voit se développer en parallèle une demande adaptée aux revenus plus modestes avec pour conséquence une montée des groupes Discount auxquels l’agriculture doit aussi répondre. N’y aurait-il pas un double langage des consommateurs ?
 
-       En ce qui concerne le contenu des assiettes, la distinction de son appartenance sociale ne se fait plus sur les mêmes critères qu’autrefois. (Le langage courant l’exprime à sa façon : « même les ouvriers mangent de la viande » – « avant on gagnait son pain, maintenant c’est son beefsteak » - « tout le monde à table ! ou bien on se fait un plateau-repas devant la télé !»…). Enfin, c’est dans les populations les plus aisées que l’alimentation apparaît la plus équilibrée.
 
-       Le travail manuel lié à l’activité de production tend à devenir l’exception. Les tâches pénibles, répétitives sont exécutées par des machines. L’élévation du niveau de vie renchérit le coût du travail et induit un  nombre de chômeurs élevé. Or cette tendance se poursuit inexorablement avec la société qui « se tertialise » révélant aussi des difficultés permanentes pour faire correspondre les niveaux de formation-expérience et les offres d’emplois. L’ouverture des marchés et la mobilité des personnes influencent la concurrence également dans le domaine de l’emploi. Or, si l’agriculture est par définition non délocalisable, car attachée à son sol, on constate également une réduction continue du nombre d’agriculteurs. Les campagnes ne sont pas devenues un désert et la biodiversité n’est pas forcément menacée. Mais c’est la taille des unités de production qui continue d’augmenter et cela d’abord pour des raisons de rentabilité économique. Les structures les plus petites ne permettent plus à une famille de vivre décemment ; n’ayant pas de successeurs, elles viennent grossir les exploitations qui se développent. (En France on comptait 1 600 000 exploitations agricoles en 1970, alors qu’elles ne sont plus que 500 000 en 2010 – Source Agreste).
 
-       Il semblerait aussi qu’on s’oriente vers la fin de l’exception agricole avec en outre, une rupture dans le modèle européen dont il faut imaginer les étapes futures. Quel point d’équilibre retenir entre un modèle libéral  (la fin des quotas laitiers, moins de protectionnisme) et une meilleure articulation avec les politiques étrangères permettant aux pays émergeant de maîtriser leur économie ?
 
Le sort de notre agriculture devra donc être relié à celui des agricultures en développement pour des raisons économiques et éthiques.
                                                            
 

 

 

 
 
-       Certaines ONG poussent le consommateur à « maîtriser » la façon de produire en agriculture avec une  prise en compte de l’environnement ou avec une nouvelle éthique dans la mise en vente (« zéro pesticides » - bien-être animal - pas d’OGM - AMAP). La question reste posée sur la représentativité et l’indépendance de ces instances dans l’opinion publique qui continue, pourtant, de réclamer des produits bon marché, auxquels l’agriculture doit aussi répondre.
 
-       L’évolution des modes de financements participatifs pourraient prendre de l’importance dans un avenir proche : le « crowdfunding » qui pourrait se traduire par un « financement par la foule ». Le cadre juridique est en cours de création (Loi N° 2014-856 du 31-7-2014 relative à l’économie sociale et solidaire). Le principe de ce nouveau mode de financement consiste, pour un porteur de projet, à lancer sur Internet un appel à lui octroyer un don ou un crédit. (Exemple : les particuliers peuvent investir dans 10 pieds de vigne ou parrainer une vache pour 2000€ et la louer pendant 4 ans,…).
 
(Photo JP Prévot)
 
 
 
 
 
 
 
 
-       Afin de s’adapter à ces nouveaux enjeux, les modèles mis en place au début du 20ème  siècle et le système coopératif ne suffisent pas, l’agriculture s’organise (encore à la marge) avec des comportements également moins individualistes et la mise en place de stratégies de filières.
 
 
 
B - L’attitude scientifique maintient une activité de recherche conduisant à de nouvelles innovations : « La technique n’a dit que son premier mot ».
 
 
-       Les attentes de chaque personne au sein de la société découlent de sa situation particulière, de ses ressources, de ses goûts, de son niveau de réceptivité à la publicité, etc. et sont influencées par des contraintes toujours renouvelées. Cela implique, pour y répondre, un besoin permanent d’innovations. Par ailleurs, des innovations naissent aussi par génération spontanée, trouvant leurs usages bien après leur naissance.
Champs d’essais Arvalis Vraignes 2006 - Photo JP Prévot
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
-       Dans le domaine agricole, il semblerait que certaines technologies atteignent une limite ou du moins un palier. C’est le cas de la préservation des sols ; surtout en milieu équatorial avec la déforestation sans précautions, mais beaucoup plus rarement dans notre contexte français. Nous citerons l’exemple de l’augmentation de la puissance de traction dans les années 1950 – 1970 qui a conduit à un approfondissement des labours, induisant une dilution du taux de la matière organique des sols, avec pour corollaire dans un premier temps une augmentation des rendements, mais en même temps, une baisse de la stabilité des sols vis-à-vis de divers phénomènes comme l’érosion. Ces risques tendent aujourd’hui à être maîtrisés par des pratiques agronomiques adaptées. Des techniques élaborées dans des contextes fragiles (Brésil) prennent leur essor également en Europe et en France. La mise au point de nouveaux matériels (Strip Till) permettent de développer des techniques de semis sous couverts permanents avec de nombreux arguments. Les objectifs mis en avant visent à protéger le sol, limiter le recours aux désherbants en abaissant le risque de certaines mauvaises herbes, améliorer la fertilité chimique en accumulant les éléments nutritifs en surface via l’utilisation de légumineuses en intercultures ou la décomposition d’une matière organique plus abondante car profitant d’une photosynthèse pendant 12 mois, à l’instar des prairies permanentes …
 
Strip Till :photo du constructeur Amazone.
 
 
 
 
 
 
 
 
-       De façon plus inquiétante, on constate un plafonnement des rendements de plusieurs grandes cultures comme le blé. Ce n’est pas le cas en France pour des plantes comme le maïs ou la betterave dont les rendements continuent d’augmenter. Le phénomène trouve essentiellement son origine dans l’évolution du climat. (Voir le dossier dans le numéro 1168 de Science et Vie - janvier 2015). Le travail de sélection propose des variétés mieux adaptées et permet de maintenir le niveau de production, mais celui-ci n’augmente plus pour le blé. L’utilisation de moyens sophistiqués a un coût élevé qui est plus facilement supporté par la bonne rentabilité de certaines productions. Cela explique également pourquoi l’effort de recherche est plus conséquent sur certaines espèces végétales qui voient leurs résultats progresser.
 
-       La recherche met en œuvre de nouvelles techniques de sélection pour gagner du temps dans cette course pour répondre aux exigences croissantes de qualité, de tolérance aux parasites (pour moins de pesticides), mais aussi aux nouveaux rythmes de développement des végétaux induits par le climat qui change. Les attentes sont fortes dans ce domaine et l’agriculture bénéficie aussi des progrès technologiques issus de la recherche dans le domaine médical :
           . Une des principales innovations de ces 15 dernières années réside dans le marquage moléculaire. Cela permet, sur des échantillons de végétaux très réduits, de repérer sur l’ADN un petit segment de chromosomes qui porte le critère souhaité et de le suivre avec une grande fiabilité dans la descendance. Les gains de temps et de moyens expérimentaux sont très importants.
Par exemple, pour la vérification de la tolérance à une maladie particulière, une analyse de laboratoire suffit sans qu’il soit besoin de conduire une culture soumise à une infection par cette maladie pour vérifier l’acquisition du caractère de résistance par la descendance. Depuis la plus haute antiquité, les hommes ont patiemment choisis les plantes qui correspondaient le mieux à leurs besoins et ont ainsi sélectionné les végétaux cultivés aujourd’hui. Ce travail se poursuit avec les méthodes permises par les technologies maintenant disponibles. Tout le monde est familiarisé avec les tests ADN dans le domaine des investigations policières ; les investigations végétales suivent les mêmes progrès. La sélection assistée par marqueurs permet d’augmenter la diversité génétique en valorisant de nouvelles sources de résistances exotiques.
           . La transgénèse conduit à la fabrication d’organismes génétiquement modifiés : OGM. Cette technologie consiste à insérer un fragment d’ADN dans un chromosome conférant à la plante de nouvelles propriétés comme la résistance à un herbicide ou à un insecte. Ces propriétés de résistance peuvent apparaître spontanément, comme la résistance à un certain herbicide pour le Tournesol repéré aux USA en 1997 et depuis sélectionné par des méthodes conventionnelles de « back-cross » : la plante résistante est croisée avec des lignées agronomiquement intéressantes et le travail de sélection aboutit à des individus portant ce nouveau caractère en quelques années.  Les OGM ne sont actuellement pas autorisés à la commercialisation en France. Sans juger ici du bien-fondé de cette situation, nous constatons que les surfaces ensemencées en OGM continuent d’augmenter de par le monde et cela sans problèmes particuliers pour les utilisateurs. Les difficultés soulevées sont plus indirectes : comme les risques de dissémination de certains caractères dans la flore sauvage par exemple pour la famille des crucifères (colza) ou dans un autre ordre d’idée : le coût de la semence pour l’agriculteur.
           . L’hybridation consiste à croiser des lignées particulières d’une plante cultivée pour obtenir une descendante beaucoup plus productive (effet hétérosis ou valeur hybride). L’une des lignées fournit le pollen qui sert à féconder la seconde. Les premiers travaux d’hybridation ont porté sur le maïs, car les organes mâles sont séparés (panicule au sommet de la plante) des organes femelles qui deviendront les épis de maïs. Les plantes femelles sont tout simplement obtenues en coupant mécaniquement les panicules. Alors que pour un blé, il faut arracher à la pince à épiler les étamines de quelques épillets sur un épi – maintenant des gamétocides de synthèse sont disponibles pour travailler à plus grande échelle.
           . Le séquençage du génome des plantes cultivées se poursuit. Il est réalisé dès 2005 pour le riz, en 2014 pour le colza, mais pas encore achevé pour le blé (le génome du riz comporte 390 Millions de paires de bases, alors que le blé en compte 17 000 Mbp ! En comparaison, le génome humain dispose de 3 300 Mbp). Les technologies de génotypage évoluent très vite dans ce domaine et les coûts d’analyses deviennent très faibles comparativement à l’acquisition d’information décrivant les végétaux : techniques de phénotypage. (Il a fallu 13 ans, en 2003 et 3 milliards $ par l'International Human Genome Sequencing Consortium pour séquencer le génome humain - en 2010, 10 000 $ suffisent et 8 jours - en 2013 : 1 000 $ et 15 minutes : Estimations de Pacific Biosciences, of Menlo Park, Californie !). C’est pourquoi, la recherche remplace progressivement les mesures sur les végétaux par des grandeurs physiques obtenues automatiquement : c’est le phénotypage à haut débit. Il est possible d’estimer la teneur en azote d’un végétal et sa biomasse, pour caractériser son état de nutrition azotée, par une analyse de la qualité de la lumière solaire réfléchie par une culture de blé ! Cette mesure remplace de coûteux prélèvements manuels de plantes et des analyses de matière sèche ou de teneurs en azote des plantes au laboratoire. De plus, l’information peut être soit spatialisée sur des parcelles entières ou rapportées à des milliers de parcelles expérimentales de génotypes connus. De nouvelles méthodes statistiques ont été élaborées pour interpréter les profils génétiques en relation avec le comportement au champ ou la qualité d’utilisation des variétés étudiées. La tâche est immense et des collaborations internationales se dessinent dans ce domaine (Triticeae Genome – Projet DIGITAL -  Projet Breedwheat lancé en 2011 – Phenoblé - …). En parallèle, la valorisation et la sauvegarde des ressources génétiques s’organise : Populations (RILs, NAM, MAGIC, RH….) - Panels d’association - Genebanks - Populations de mutants.
 
Phénotypage haut-débit – Arvalis
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
-       La robotisation n’a pas fini de nous surprendre. Elle remplace les tâches les plus pénibles, réalisées avant par les humains, maintenant au moyen de machines ou de robots (récoltes de cultures, machines à vendanger, binages et systèmes de guidage par GPS, robot de traite, etc.).
Robot muni d’un laser repérerait les mauvaises herbes et les chaufferait pour stopper leur croissance. © Harper Adams University.
 
 
 
 
 
 
 
 
La robotisation permet à la fois, la miniaturisation de certaines opérations (semis de précision,…) et le travail sur de grandes largeurs (guidage des outils, …), mais surtout le travail 24 heures sur 24, ce qui n’était pas envisageable pour le travail manuel ou la traction animale. Les opérations culturales peuvent mieux concorder avec des conditions météo optimales pour une plus grande efficacité (doses de semences, d’engrais ou de produits de protection notablement réduites).
Le temps de travail dans une vie devrait continuer à diminuer. Les tâches manuelles se réduisent, parallèlement le niveau de formation requis pour les activités agricoles continue d’augmenter.
 
      -            Les progrès de la science météorologique sont une réalité en pleine expansion à la fois dans la dimension temporelle : accès à l’historique des données, météo en temps réel et prévisions à court et moyen termes toujours plus fiables – mais aussi dans la dimension spatiale : maillage de plus en plus fin des relevés (capteurs autonomes, images radar de pluie).
(Photo JP Prévot)
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
-       Les méta-calculs valorisent l’augmentation permanente de la puissance de calcul et permettent de croiser des bases de données agronomiques, des statistiques, des données historiques,…avec les prévisions  météo, des observations sur parcelles (mesures automatisées : drones, images satellitaires), pour modéliser la croissance des végétaux, évaluer des risques parasitaires ou faire des diagnostics de nutrition afin d’ajuster la fertilisation.
Exemple de carte conseil élaborée dans le cadre du service ©FARMSTAR proposé par ARVALIS - Institut du Végétal, le CETIOM et Airbus Defence and Space.
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Les applications informatiques vont continuer à se développer (modèles, localisation de plus en plus fine dans l’espace, dans le temps, …ciblant de plus en plus la réalité du terrain). La conduite des cultures sur grandes parcelles s’approche des techniques ajustées manuellement plante par plante par l’horticulteur.
 
-       Nous commençons à constater l’arrivée sur le marché de produits de protection ou de stimulateurs de défense des plantes issus du vivant. Les recherches en cours  débouchent sur de nouvelles solutions proches des comportements naturels et s’éloignent des produits de synthèse aujourd’hui incriminés (pesticides).
 
-       La prise en compte de l’environnement des parcelles agricoles s’étend. Les méthodes de production intègrent de plus en plus l’organisation du parcellaire, la taille des parcelles, les bords de champ pour favoriser les auxiliaires limitant le parasitisme (notion de corridors et de continuité pour la faune sauvage), mais aussi valorisent la production des bordures (production de bois, plaquettes, …voire l’implantation d’éoliennes, du photovoltaïque, …). La notion de service environnemental rendu par l’agriculture est officiellement reconnue : les SIE ou surfaces d’intérêt écologique sont soutenues par le Ministère de l’agriculture : 

-       http://agriculture.gouv.fr/sie-aides-pac-2015.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
-       Dans un tout autre ordre d’idée, l’exploitation des produits de la mer se poursuit, mais atteint un palier pour bon nombre d’espèces de poissons. Cette attitude de « cueillette » dans le milieu marin atteint ses limites et des quotas de pêche vont se généraliser. Par contre, l’élevage des animaux aquatiques continue de progresser et des productions disparues réapparaissent, mais dans un contexte artificialisé (exemple de l’esturgeon et la production de caviar). L’agriculture fournit, l’espace, la main d’œuvre, les aliments spécifiques à cette activité.
 
-       L’agriculture continue de fournir des denrées dont l’usage n’est pas uniquement alimentaire (pour les humains ou les animaux d’élevage) mais qui servent de bio-matériaux ou matières premières pour la chimie verte (les produits carbonés bio-sourcés), voire pour la production d’énergie. Les surfaces consacrées à cette dernière activité peuvent s’écarter de plus en plus de la production agricole traditionnelle avec la valorisation des surfaces verticales urbaines et la construction de bioréacteurs (valorisation des processus de photosynthèse captant l’énergie solaire avec un rendement très élevé et utilisant par exemple des algues génétiquement améliorées ; le milieu confiné ne posant pas les problèmes de restriction imposés aux cultures de plein champ).
 
 
 
 
 
C - Quelques ébauches de scénarii anticipant l’évolution de l’agriculture française :
 
Ce chapitre fera l’objet d’un développement dans un prochain dossier.
 
Les futures agricultures devraient se distribuer entre des systèmes déjà présents mais dont les proportions relatives vont encore évoluer :
 
- les périurbaines tournées vers la production de produits frais (horticulture, AMAP, mini-ateliers de conditionnement de produits alimentaires).
- les petites exploitations spécialisées composées de doubles actifs avec des métiers soit totalement indépendants (exemple : agriculteur à temps partiel exerçant à côté un autre métier), soit avec des métiers interdépendants (exemple : agriculteurs et gîte rural ou accueil à la ferme ou atelier de transformation d’une production régionale labélisée).
- les exploitations moyennes pourraient subsister à condition d’élaborer des produits de qualité, avec une valeur ajoutée élevée (semences par exemple) ou des systèmes mixtes combinant cultures et élevages hors-sol.
- les grandes exploitations proches des structures conventionnelles actuelles faisant plus ou moins appel à des entrepreneurs de travaux agricoles. Plusieurs sous-ensembles se rapportent à cette catégorie : les fermes de grandes cultures de plein champ, les élevages bovins ou ovins partiellement hors-sol, les exploitations horticoles ou arboricoles ou viticoles.
- des exploitations mettant en œuvre de nouveaux métiers (production de plaquettes de bois, cultures dérobées destinées à la cogénération par voie de méthanisation, entretien d’espaces protégés,…) mais ces activités relèvent-t-elles encore de l’agriculture en tant que telle ?
- des activités artificiellement soutenues pour des raisons politiques, environnementales ou touristiques. Exemple : dans les réserves naturelles ou le maintien du pastoralisme en montagne avec des élevages en estives en complément des sports d’hiver.
 
Ces différentes agricultures peuvent plus ou moins se combiner entre elles. Elles peuvent aussi être croisées avec un mode de production soit conventionnel, soit plus agroécologique, voire bio. Le modèle bio serait plus probable dans les exploitations horticoles de proximité disposant de main d’œuvre ou d’automates.
 
-       Il est intéressant de se reporter à certaines études, par exemple le travail de Solagro : Afterres2050 version dite "du 19 mai 2014" : A l'horizon 2050, l’agriculture et la forêt devront nourrir en France 71 millions d’habitants et le bétail, fournir énergie et matériaux tout en préservant la fertilité des sols, la qualité des eaux, la biodiversité, le climat. Disposerons-nous des surfaces nécessaires pour satisfaire tous ces besoins ? http://www.solagro.org/site/393.html
 
La conséquence des signes avant-coureurs évoqués dans cet article laisse présager une nouvelle répartition des surfaces agricoles se partageant  entre agriculture biologique et/ou agriculture intégrée avec une agriculture plus conventionnelle où la taille des unités de production continue d’augmenter (une unité de production s’entend pour la rentabilité d’un certain matériel, par exemple le nombre d’hectares récoltés par une moissonneuse batteuse, ou la taille d’un atelier de vaches laitières ; elle est différente de la dimension de l’exploitation dont dispose un agriculteur en propriété ou en location). Cette taille travaillée pourrait aussi être très réduite, avec l’avènement de nouveaux matériels, dont la miniaturisation et le coût réduit les rendraient possibles.
 
Photo JP Prévot
   
 
 
 
 
 
 
 
 
 
Cette agriculture continuera de nourrir la France et conservera une capacité à exporter sur les marchés des céréales et du sucre en particulier. En effet, la production de masse n’échappera pas à l’augmentation de taille des unités de production, ni à la mise en œuvre des innovations. Le contenu de notre assiette ne devrait pas trop changer et les paysages se modifieront dans le sens où des haies seront réintroduites et la taille des parcelles sera mieux maîtrisée. La généralisation d’une agriculture écologique intensive pourrait permettre de consacrer des surfaces pour satisfaire une part des besoins énergétiques et la production de biomasse pour la chimie verte ou des éco-matériaux de construction. Mais des interrogations subsistent sur la possibilité de généraliser cette évolution au niveau mondial.
 
Enfin, une multitude de petites « niches » pourraient voir le jour, sans qu’on puisse parler d’agriculture à part entière et qui relèveraient plutôt du jardinage ou de la « culture sur balcon ».
 
Mais n’est-ce pas une gageure que de tenter de prédire les évolutions de l’agriculture étant donné la difficulté d’identifier les innovations de rupture (à l’opposé des innovations incrémentales) en citant G. Waksman dans sa lettre du 10-06-2015 (AFIA – Du côté du Web et de l’informatique agricole) : «la grandeur et le charme de ces innovations de rupture (de la plus petite à la plus grande) sont qu'on ne peut les prévoir ».