La Ferme des 1 000 Vaches
Une exploitation de polyculture-élevage en Picardie
Virginie LAFFON et Hubert BOUCHET
Mars 2016
 
 
Visite du 25 mars 2016 commentée par Michel WELTER

     Ancien agriculteur-éleveur dans l’est de la France, ayant perfectionné ses connaissances dans un Institut technique renommé, Michel Welter est aujourd’hui salarié de l’entreprise en qualité de directeur technique et maître à bord. Ce « battant » qui a hésité un temps entre une carrière militaire et l’agriculture,  nous retrace les principales étapes de la lutte qui l’a opposé à  l’association Novissen et au mouvement d’opposition qui s’est développé dès l’origine autour d’un projet qualifié de disproportionné et d’« extravagant » par ses détracteurs.  Il nous rend compte avec sincérité de la pression qu’il a subie tout au long de ces années tant de la part des média que des différentes associations liées au mouvement.

 
     Bon communicant et partisan convaincu de l’expérimentation, il raconte l’amitié qui le lie à l’industriel du BTP, Michel Ramery, qui finance l’entreprise, et la confiance que ce dernier lui accorde depuis les débuts de l’aventure et sans laquelle il n’aurait pas « tenu ».  
Economiquement soutenu par ce dernier, Michel Welter a voyagé. Affranchis des contraintes             « rétrovisorales », les créateurs ont épousé l’esprit pionniers. Leur feuille de route a été écrite à partir des réalisations susceptibles d’inspirer leurs pratiques. Les Américains ont été sollicités pour leur expertise des élevages de grande dimension parmi lesquelles une ferme de 44000 vaches de Californie, mais également les Israéliens. Et les européens du Nord (Allemagne) pour leurs pratiques dans des conditions « écosystémiques » comparables à celles du plateau picard. Ils ont également su s’entourer  de conseillers rôdés aux enjeux de  ce modèle économique d’exploitation (cf. vétérinaire d’origine et de formation nord-américaines,  au fait des recherches sur le comportement animal).
 
     Les expériences et les pratiques des autres, ici et aux antipodes ont été mise à profit. Le résultat constitue un système technique dont l’efficacité globale est liée à la combinaison d’éléments lilliputiens dans une approche expérimentale. Dans ce cadre, l’activité répond à la définition que donnait Napoléon de la guerre : « art tout d’exécution ». Il peut en aller ainsi quand le travail d’amont a arrêté les plans d’ensemble.
Une forme « d’iconoclastie » préside à l’établissement de ces plans qui peuvent déroger par rapport aux prescriptions établies par des spécialistes. Ces derniers sont souvent largués à cause de la singularité de la situation. Cela conduit à l’intégration de l’expertise à l’intérieur de l’entreprise. Expériences et retour d’expériences sont réalisés en interne à la lumière d’ « aventures » comparables.
 
     Au cours de la visite, chacune des briques de l’édifice nous a été  exposée et détaillée : les bâtiments (simplicité et efficacité des matériaux et de l’architecture), le troupeau (nature et traitement des animaux), la traite (roto), le traitement des déjections (séparation des phases, épandage sur les terres de l’exploitation…), l’alimentation (composition de la ration à partir des productions de l’exploitation, silos aux parois obliques favorisant le tassement par gravité), l’organisation du travail (3 équipes sous les ordres de MW), l’utilisation d’un matériel de pointe ….
 
 
La ferme et le troupeau
     La ferme des mille vaches est implantée dans la plaine, au cœur de 1000 hectares, dédiés aux cultures. Les bâtiments sont naturellement imposants. Ils sont récents, et leur apparence extérieure ne laisse pas apparaître leur vocation.
C’est à l’intérieur que tout se passe. Les vaches sont là, à quasi perte de vue. Le silence règne. Les animaux sont confortablement et proprement installés. Tout est fait pour leur faciliter la vie afin qu’elles se consacrent à leur vocation : produire du lait.
L’ordonnancement général de la ferme fait naître le sentiment d’une différence de nature, et pas seulement de degré entre des fermes conséquentes développées par croissance interne et la ferme des 1000 vaches. Ses promoteurs ont eu la volonté d’approcher les conditions de l’ex nihilo.
 
La ferme réunit 8 exploitations
     Surfaces cultivées : 1 000 ha, provenant des huit exploitations à l’origine
Main d’œuvre : 25 personnes dont 18 salariés
Matériel : création d’une CUMA (CUMA 1000)
Le méthaniseur, en partie à l’origine du tollé local, n’a pas encore vu le jour….
 
Le troupeau
5 lots de vaches en production de 150 unités chacun
1 lot de vaches vêlées
1 lot de vaches malades
Les animaux sont équipés d’un collier électronique lui-même équipé de bio-capteurs permettant de détecter les chaleurs en analysant les comportements de l’animal et en signalant les anomalies
Production actuelle : 25 000 litres de lait/jour vendus à Milcobel (coopérative belge)
 
Place aux meilleures pour une conduite homogène
     Une pratique active de la recherche de productivité postule l’élimination ininterrompue des moins bons sujets. Dans le même temps, des modalités de croisement inter races et la mobilisation des ressources de la génétique contribuent aux améliorations.
3 traites/jour (les 3 x 8) - salle de traite rotative de 50 places
L’heure est à l’ « homogénéisation » du troupeau, une partie des VL provenant du rachat d’élevages ayant mis la clef sous la porte ; pas de sélection généalogique mais des croisements dans le but d’obtenir des caractéristiques « basiques » : pattes solides, résistance aux mammites, production annuelle moyenne (9 000 litres). La production laitière étant raisonnée en fonction d’un ensemble « le troupeau » et non en fonction de chacune des unités le constituant. A terme, valorisation maximale de l’animal par l’utilisation de semences sexuées pour obtenir un mâle lors du dernier vêlage des vaches de réforme.
 
Les bâtiments : une cathédrale et la propreté d’une sacristie
     Sacrilège, bien sûr cette comparaison, encore que…. les bâtiments évoquent l’immensité, et les vaches peuvent être comparées aux fidèles. La paix règne dans l’étable et chaque vache semble méditer sereinement, toute occupée à sa rumination nourricière.
Le bâtiment principal est très long, très aéré, doté d’une allée centrale. Entre la partie alimentation et la zone de repos, un racloir. Les animaux disposent de logettes creuses paillées et les cornadis usuels (en métal et sonores) ont été remplacés par des montants en plastique souple.
 
Efficace bien-être : le bien-être conditionne la productivité.
     L’intérêt bien compris de l’éleveur postule le bien-être de ses animaux. Toute altération de celui-ci plombe les résultats. La maladie, bien sûr, mais aussi toute souffrance, même diffuse empêche l’expression optimale de potentiel.
La propreté et de la netteté de l’ensemble des locaux et de leurs abords provient de l’organisation qui est rigoureuse, et il ne peut y être dérogé. C’est une exigence de la dimension. On peut parler d’organisation de type militaire.
                                   
                     
Pratique de la multitude et alimentation uniforme
     Toutes les vaches reçoivent des rations calibrées sur un espoir de production de 30 litres par jour. Une ration unique, modulée selon les résultats d’analyse (sang, rumen, urine) d’une demi-douzaine de vaches prises au hasard.
Aucune distribution individualisée n’est pratiquée. La même ration ne conduit pas à la même production. Selon les vaches, la production peut varier sensiblement pour des raisons liées aux animaux plus ou moins bons transformateurs.
 
 
Les terres cultivées
     Les 1000 ha se répartissent en  3 zones différentes selon la composition des sols et leur potentiel
dont 350 ha autour des bâtiments presque d’un seul tenant.
     Assolement historique : betterave, céréales, légumes destinés à la transformation et pommes de terre.
En 2015 :
120 ha de betteraves
200 ha de lin
30 ha de pommes de terre
240 ha de maïs ensilage
70 ha de ray grass d’Italie
70 ha de  légumineuses
40 ha de pois de conserve
Le reste en blé (230 ha ?)
     La ferme ne cultive pas de pommes de terre en direct mais pratique des échanges de parcelles avec des « patatiers » voisins (les 30ha de pommes de terre participent de la rotation). Le colza a été arrêté car trop difficile à gérer en TCS (Techniques Culturales Simplifiées).
 
Techniques culturales et matériels
     Non labour, TCS (depuis 2006) et semis direct plus rapides. On est passé de plusieurs dizaines de tracteurs à des équipements de pointe permettant une plus grande productivité du travail et un meilleur respect des sols (1 batteuse à chenilles, 1 challenger - 180ha de blé semés en 48h ! - une tonne à lisier équipée d’un GPS, etc .
 
Professionnalisme et surveillance
     Interrogé sur la recette du « succès », hormis une détermination à toute épreuve  qui relève en quelque sorte de la « foi », Michel Welter évoque  les  connaissances agricoles associées aux règles du management de l’entreprise privée (pratique d’une gestion mensuelle, tableaux de bord, reporting….), auxquelles s’ajoutent  l’ouverture d’esprit, les échanges d’expérience,  et un élément déterminant - spécifique au projet – la tranquillité d’esprit  quant au volet financier du fait de ne pas être sous la pression des banques ( !).
L’excellence du système productif s’accompagne d’une vulnérabilité qui va avec. La vigilance s’impose car tout incident peut être catastrophique par simple effet papillon. Cette réalité dicte les pratiques auxquelles il n’est pas de dérogation. Le système emporte la nécessité de la discipline.
 
Le modèle économique
     Il n’est pas d’une vulnérabilité supérieure à celle des autres exploitations. Dans tous les cas des économies d’échelle liées à la taille sont à considérer. Lorsque les prix se ressaisiront, les économies d’échelle feront la différence. Le privilège du rotor par rapport au robot trayeur s’inscrit dans cette perspective d’évolution.
     Fort de son expérience, Michel Welter pose la question de la reproductivité du modèle. Son interrogation porte sur la « dilution du savoir » inhérente aux grands troupeaux,  comparée au savoir de l’agriculteur-éleveur, habitué à gérer son exploitation de A à Z. Si ça marche aux « 1000 vaches », c’est en grande partie aussi parce  qu’il est seul maitre à bord d’un bateau qu’il pilote depuis sa conception, en maîtrise l’historique, en connaît les points faibles, les maillons à surveiller, la problématique posée par l’emploi d’une main d’œuvre peu qualifiée et souvent peu impliquée (turn-over). Charge à lui de transmettre et de former collaborateurs et successeurs …
 
 
 
Appréciation personnelle des auteurs : Mille vaches et après…
     Agréablement surpris par l’ensemble de la ferme et des installations, loin des descriptions ravageuses de ses détracteurs.
     En ce qui concerne le « bien-être animal », au cœur de bien des débats, la situation du cheptel ne paraît pas différer de celle d’exploitations laitières plus petites ; et les pratiques culturales relèvent d’une agriculture raisonnable et raisonnée.
     Quant au modèle économique, il  doit pouvoir cohabiter avec une production plus « artisanale »
     Reste la question de la demande, autrement dit des attentes  « des » consommateurs : quel type de produit valideront-ils dans le futur, certains deviendront-ils totalement  réfractaires à la logique du « toujours plus », à l'expression optimale du potentiel de l'animal… ? Entre « ventre affamé n’a pas d’oreille » et « panse bien remplie nourrit l’esprit », repenser sereinement le rapport que nous entretenons avec le monde environnant (animaux, végétaux…) n’est pas chose simple.     L’agriculture - de par sa nature - s’inscrit au premier rang dans cette réflexion et demande une approche transversale.
     Existe-t-il une dimension maximale à la concentration ? S’il n’est pas de dimension maximale, 1000 vaches marquent une étape avec l’activité migrant vers les antipodes de ce qui fut.
La technique ne cessera de proposer…..