Réunion du 21 mai 2013

Conférenciers : Jean Paviot, agriculteur, et Roger Le Guen, Professeur de sociologie (ESA d’Angers)

Compte-rendu rédigé par Etienne Meissonnier

QUELLES EXPLOITATIONS AGRICOLES DE DEMAIN ?

FERMES OU FIRMES ?

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I . VISION D’UN AGRICULTEUR SUR LE FUTUR  DE SON EXPLOITATION

Jean Paviot, agronome de formation envisage l’avenir de son exploitation en Champagne berrichonne dans la perspective de sa transmission à ses enfants. Son exploitation de 105 ha se situe dans une région de petites terres ; elle occupe actuellement 600 heures par an, soit à peine un mi-temps. D’emblée, il annonce ses résultats d’exploitation sur deux années proches : - 11335 € en 2009 et  + 23249 € en 2012 pour un CA global de 130 à 140 000 €. Le mauvais résultat de 2009 s’explique par une chute du cours du blé (80 €/q versus 180 €/q en 2012). Sa question immédiate est : comment créer de la valeur ajoutée dans l’exploitation sur le long terme ?

Il envisage successivement plusieurs scénarios:

-        Faire de la vente directe ou de première transformation.

-        Se lancer dans la culture biologique.

-        Cultiver des produits rares comme le safran ou des plantes médicinales.

-        Valoriser les céréales avec un élevage de volailles.

-         Produire des semences.

Malheureusement, en raison des conjonctures locale ou nationale et des débouchés accessibles, ces solutions ne semblent pas offrir de réelles opportunités, sauf les semences que la France sait exporter. Finalement, c’est l’exportation qui offre le débouché le plus accessible à ceux qui sont loin des graznds centres urbains.

Cela impose alors de mieux améliorer l’efficacité de l’exploitation.

Dans le contexte sociétal actuel, les objectifs sont multiples : accroître la productivité et la  résilience, éviter la dispersion, et mieux respecter l’environnement.

S’y ajoutent des contraintes économiques et  techniques :

-        La fluctuation des prix des produits agricoles détermine l’essentiel des revenus de l’exploitation.

-        L’évolution des technologies et des connaissances induit leur obsolescence rapide et oblige des amortissements rapides.

-        Enfin, l’augmentation des règlements environnementaux génère souvent des investissements non productifs.

Parmi les autres contraintes, on peut craindre l’augmentation du coût de l’énergie.

En conjoncture de prix bas,  la non rentabilité de certaines parcelles imposerait leur mise en jachère temporaire. Mais cette démarche a  ses limites car elle nuit à la dilution des charges fixes.

Pour abaisser le point mort, l’exploitant  cherche à réduire les amortissements et les charges « diluables ». Concrètement, le parc matériel sera réduit et le plan d’assolement simplifié dans la mesure du possible. Année après année, les charges proportionnelles seront abaissées par l’application de tous les acquis techniques pour optimiser la conduite des cultures.

Pour améliorer la rentabilité, l’exploitant peut  envisager d’accentuer la spécialisation, ce qui est déjà le cas en regard  de la poly-cultures/poly-élevages d’autrefois : le principal avantage est la simplification des tâches :

-        L’organisation du travail est facilitée et les itinéraires techniques sont optimisés.

-        Les coûts fixes et affectés sont réduits.

-        Et les coûts environnementaux deviennent plus faciles à  gérer.

Mais, la spécialisation nuit aux « changements de cap » et produit de la rigidité dans le système d’exploitation, le rend plus sensible aux aléas et génère des gaspillages au niveau des sous-produits.

Une  autre marge de manœuvre consisterait  à diluer les coûts fixes, soit par une augmentation des surfaces exploitées, soit par  la réalisation de deux cycles culturaux par an:

-        En Champagne berrichonne, beaucoup d’exploitants  ont grandi progressivement  et cultivent désormais de 300 à 600 ha en céréaliculture, ce qui améliore de beaucoup la dilution des coûts et l’efficacité des ressources humaines.

-        La mise en œuvre  de 2 cycles culturaux par an en l’absence d’élevage, pourrait se réaliser avec une valorisation énergétique de la biomasse, permettant des récoltes immatures.

-        Le partage des charges de mécanisation et  des investissements lourds en général est une bonne solution pour diluer les coûts fixes et alléger les amortissements. Comment y parvenir sans se charger de coûts fonciers excessifs ?

-        Une autre alternative est de sous-traiter certains travaux à des opérateurs plus  efficaces.

Le partage des activités existe déjà avec l’assolement en commun, qui simplifie la conduite, dilue les coûts, mais induit de nombreuses rigidités :

-        Création d’une société avec les partenaires.

-        Formalisation d’une coordination entre eux, et obtention d’un consensus sur les choix techniques.

-        L’adaptation aux évolutions peut être source de difficultés, de même qu’une transmission.

 

La vraie question est de définir quel sera le métier de l’agriculteur de demain : acheteur  d’intrants, vendeur de sa production, agronome, éleveur, entrepreneur de travaux agricoles (ETA), gestionnaire de l’environnement ou gérant financier d’un portefeuille d’activités?

Il peut devenir acheteur et/ou fournisseur de prestations, tout en restant indépendant. Dans ce cas, il reste seul responsable de la commercialisation de ses produits, du choix des cultures et des itinéraires techniques, éléments critiques de la rentabilité. Mais, il prend ou met du matériel en location, ou sous-traite certaines activités à une ETA ou une CUMA avec salariés.

L’exploitant évolue vers une activité de commerçant,  acheteur ou fournisseur de prestations, qui s’intègre dans un réseau d’entreprises similaires, liées par contrats. Le matériel  utilisé n’est plus à 100% le sien, le matériel restant en propriété est utilisé dans le cadre d’une activité de services à des tiers, en plus du service de la ferme mais il est plus moderne et mieux amorti.

Le patrimoine foncier reste dans les deux cas un bien individuel, mais devient un outil de production au même titre que les ateliers spécialisés et les équipements lourds. Mais, face à la valeur croissante de ses « outils » de travail, des solutions financières innovantes de leur transmission devront être créées.

 

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II. REMARQUES SOCIOLOGIQUES SUR L’EXPLOITATION AGRICOLE DE DEMAIN

En introduction, Roger Le Guen évoque les changements et ruptures qui traversent notre société et le monde agricole en particulier:

-        Les marchés du travail sont de plus en plus ouverts, mais en raison de l’évolution rapide de la conjoncture, la visibilité est à court terme et l’avenir incertain.

-        L’information devient un véritable facteur de production: les innovations bousculent plus que jamais les traditions. La formation favorise cette adaptation permanente aux progrès.

-        La sociabilité est plus mobile et la vie collective plus précaire

-        La poly-cultures/poly-élevages disparaît en faveur des spécialisations et devient impossible à promouvoir malgré les vœux de l’INRA.

-        L’agriculteur moderne fonctionne plus en réseaux et moins avec les institutions

-        La réflexion fonctionne  beaucoup plus sur le court terme, notamment grâce à la technologie numérique.

La dimension familiale en agriculture est influencée par les évolutions de la société:

-        La vie familiale se dissocie de l’exploitation, même si le poids de l’héritage familial devient de plus en plus fort avec des comportements différents entre les héritiers et les entreprenants.

-        Ainsi, actuellement, l’engagement en couple ne concerne plus que 30 % des exploitations.

-        Il y a beaucoup moins de femmes dans les exploitations alors que, paradoxalement, un nombre croissant d’entre elles prennent des responsabilités tant dans les exploitations que dans les organisations agricoles.

Les formes d’exploitation évoluent aussi : les sociétés non familiales et non coopératives sont en progression. Parallèlement, le salariat augmente dans et surtout autour de l’exploitation : remplacement, emploi partagé entre plusieurs exploitants, externalisation des chantiers (CUMA, ETA), collectifs informels de réflexion entre agriculteurs, notamment en R&D. La spécialisation trouve beaucoup plus de solutions dans les systèmes végétaux que dans les systèmes animaux.

L’exploitant de demain devra saisir des opportunités et faire face aux risques sur plusieurs plans : marchands, financiers, biotechniques et sociaux.

Depuis une trentaine d’années, on assiste à une segmentation du métier d’agriculteur de manière très diversifiée, ce qui amène le sociologue à envisager dans le futur plusieurs types d’exploitations agricoles, notamment en fonction des marchés soit localisés, soit globalisés :

1.     L’exploitation-entreprise, avec deux variantes ;

Ce sont en général de petites ou moyennes entreprises

- Variante 1 : société coopérative multi- ateliers

Ces entreprises peu ou pas familiales, à spécialisation forte pour le travail avec une dynamique entrepreneuriale, développement de multi-ateliers collectifs et mutualisation.

 

-Variante 2 : entreprise spécialisée avec salariés

Il s’agira souvent d’entreprises dont les cadres viennent de milieux non agricoles. Un seul atelier est géré de manière dynamique pour maximiser l’efficacité et la rentabilité économique. Il émerge notamment en élevage bovin laitier.

 

2.     L’exploitation familiale en recherche d’autonomie économique et sociale

Les exploitants d’origine agricole et de formation modeste recherchent surtout une indépendance commerciale. La cohabitation intergénérationnelle va de pair avec une logique forte de patrimoine. Le comportement est « clanique » et autarcique avec peu d’investissements. En cas de crise, ces exploitations sont très fragilisées par manque de ressources internes et externes.

 

3.     L’exploitation néo-paysanne, avec deux variantes 

Depuis une vingtaine d’années, de telles exploitations sont créées par des personnes non originaires du milieu agricole. L’installation en couple voire en famille s’oriente vers une spécialisation poussée, excluant au maximum les intrants : forte résilience, autoconsommation, faible revenu et mode de vie particulier (pas ou peu de temps pour les vacances et les loisirs).

- Variante 1 : diversité d’activités à valorisation locale liée à la péri-urbanité ou au tourisme.

 

-Variante 2 : spécialisation rationnelle, par exemple en production de ruminants avec une autonomie fourragère.

 

4.     L’exploitation à dynamique capitaliste, avec deux variantes 

Ces formes d’agriculture se définissent par la constitution d’un capital en partie d’origine externe et répondant à une logique indépendante du travail, actuellement bien développée en Amériques du Nord et du Sud.

- Variante 1 : exploitation de firmes agro-alimentaires ou de coopératives

Elle s’appuie sur des capitaux croisés internes et externes. La production est réalisée en régie avec de nouvelles formes d’intégration : échange de pouvoir en échange de plus de sécurité.

La spécialisation est poussée et rappelle les grands ateliers de l’URSS et de l’Allemagne de l’Est. Par exemple, elle concerne déjà de grandes structures de production végétale, fabrication à la ferme et élevages de porcs. La main d’oeuvre est surtout salariée, souvent d’origine étrangère.

 

-Variante 2 : exploitation avec ouverture du capital à des investisseurs extérieurs

De tels entreprises encore peu fréquente en France pourrait de développer dans une perspective de marchés stables et rémunérateurs avec des investisseurs privés ou des banques : la gouvernance est partagée et le travail est gérée de manière indépendante. Le rôle du capital foncier joue un rôle d’autant plus décisif que la surface exploitée est grande.

 

En conclusions, les évolutions humaines et sociales vont influer sur les structures des exploitations ainsi que les orientations politiques et économiques tant aux niveaux régional, national et européen (nouvelle PAC).

L’avenir de l’agriculture va se jouer en fonction de la structure des exploitations. Le comportement des consommateurs, souvent méfiants à l’égard des produits industriels pourra également l’influencer.

 

Dans la discussion qui a suivi les deux exposés, les participants ont posé des questions aux deux intervenants.

Un participant souligne le danger de la spécialisation des régions : par ex., élevages en Bretagne / céréaliculture en Beauce. Roger Le Guen répond que dans plusieurs régions de l’Ouest, traditionnellement dédiées à l’élevage, on observait maintenant des exploitations exclusivement céréalières qui laissent espérer des échanges intra-régionales. De même, on peut constater plus de stations de compostage des effluents d’élevage et de méthanisation en Allemagne qu’en France.

Concernant l’entrée de capitaux extérieurs dans les exploitations françaises (type 4.2), Roger Le Guen évoque qu’elle date du Second Empire et n’a jamais survécu aux différentes crises en France comme en Grande Bretagne. D’après Jean Paviot, les banques cherchent des placements assurant des intérêts garantis à court terme, plus facilement accessibles dans des industries agro-alimentaires ou des coopératives. En revanche, celles-ci sont incitées ou contraintes d’investir dans de grands ateliers de production animale ou végétale lorsqu’ils sont susceptibles de garantir durablement un approvisionnement de produits de qualité, exigé par leur clientèle. Actuellement, les investissements privés dans les exploitations agricoles et les industries de transformation – absolument nécessaires dans le secteur porcin – ne pourront être engagés que grâce à une volonté politique et des incitations fiscales. De même, avec ses 3 % de population active, la profession agricole française doit conserver une force politique puissante pour survivre et rester compétitive.