2014 : LES NOUVELLES TECHNIQUES AGRICOLES - EVOLUTIONS

 

L’agro-écologie carrefour entre l’agronomie et l’écologie

 
Conférence par Philippe GATE Directeur Scientifique de ARVALIS Institut du végétal
 
 
Pour les instituts techniques, la mise en œuvre des techniques de l’agro-écologie s’inscrit dans une logique de croissance économique durable, à l’échelle des producteurs et de leurs filières.
L’agro-écologie doit donc être compatible avec le « produire plus et toujours mieux », en conciliant performance économique, environnementale et sociétale, avec l’impératif de garantir la compétitivité des exploitations et des filières.
Si l’on s’en tient à la définition scientifique originelle de l’agro-écologie, (mode de production qui s’appuie sur les régulations biologiques et les fonctions écologiques offertes par les agro-écosystèmes, en œuvre dans les parcelles et leur environnement), les travaux en cours ont comme objectif de mobiliser davantage les leviers de l’agro-écologie avec l’obligation d’améliorer les performances des systèmes de production.
 
Les grands principes de l’agro-écologie
 
L’agro-écologie joue sur la mobilisation de plusieurs types de leviers : leviers agronomiques et écologiques en complément aux leviers génétique et aux intrants de synthèse. 
 
Par l’association de ces leviers, l’objectif est d’optimiser certains processus biologiques pour  combiner haut niveau de production, contribution positive sur l’environnement, et préservation des ressources naturelles et de la biodiversité.
 
Les processus optimisés à travers l’utilisation des techniques de l’agroécologie sont :
-       La matière organique et le cycle des nutriments
-       L’activité biologique des sols
-       Le contrôle naturel des mécanismes (maladies, bio-contrôle des insectes, des adventices)
-       La conservation et le recyclage des ressources
-       La stimulation générale de l’agro-biodiversité et la recherche de synergies entre les différents composants de l’agro-écosystème
 
 
Leur niveau d’intégration dans les solutions proposées aux producteurs sera par conséquent évolutive au cours du temps, en fonction des acquis de la recherche en agro-écologie contribuant au « produire plus et toujours mieux ». Cette exigence implique que l’agro-écologie soit éprouvée sur des dispositifs réels, avec une excellence méthodologique reposant sur une évaluation de l’ensemble des critères de performances des systèmes de production et non sur un sous-ensemble.   
 
Définition
Concrètement, il s’agit donc de mobiliser l’ensemble des leviers disponibles et utiles, y compris les intrants de synthèse pour atteindre cet objectif de multi-performances.
Sur ces bases, les Instituts Techniques Agricoles, via l’ACTA proposent la définition suivante de l’agro-écologie : « ensemble des moyens techniques, au service de l’agriculture durable, qui utilisent les processus écologiques et les services éco-systémiques qu’ils apportent ».
Ce qui peut se traduire par la déclinaison suivante : «encore mieux valoriser les régulations biologiques des milieux pour produire plus, toujours mieux, et durablement, grâce à l’innovation et à une agriculture écologiquement raisonnée ». 
Le « défi agro-écologie » constitue une opportunité qui s’inscrit dans la durée car source d’innovations scientifiques, techniques et technologiques bénéfiques pour les producteurs : solutions capables d’activer les mécanismes naturels, de mieux gérer les ressources, de réduire la dépendance aux intrants de synthèse et l’exposition aux produits de synthèse.
Ce défi exige en parallèle une évaluation continue des marges de progrès apportés par les techniques de l’agro-écologie en fonction des acquis de la recherche : évaluer les fonctions éco-systémiques mais aussi la rentabilité économique et également la faisabilité agronomique, ainsi que les risques de succès ou d’échec des solutions proposées.
 
Les leviers clés de l’agro-écologie
Certains leviers sont déjà utilisés par les producteurs et d’autres sont en cours d’évaluation expérimentale ou en phase de construction.
 
Protection des cultures
On peut tout d’abord citer les leviers de la protection des cultures, ceux-ci étant complémentaires des résistances et des tolérances génétiques aux bioagresseurs (dont on sait qu’elles n’ont pas cessé de croître et sont compatibles avec des critères de potentiels de rendement), l’efficacité des produits phytosanitaires (amélioration via les innovations chimiques liées aux matières actives, innovations technologiques liées aux techniques de pulvérisation) et aussi grâce au recours des outils d’aide à la décision, permettant de s’adapter en cours d’année (ajustement des doses et efficience des apports) : 
-       La lutte biologique basée sur la connaissance biologique des ennemis naturels, utilisée par exemple sur le maïs
-       L’utilisation de produits de bio-contrôle, naturels ou de synthèse,
-       Le recours à la biodiversité fonctionnelle, notamment à des auxilliaires (organismes antagonistes aux organismes nuisibles des cultures) pour minimiser les risques et les dégâts engendrés par les bio-agresseurs ; ce moyen requiert le plus souvent un aménagement des parcelles, de leur environnement et des pratiques pour favoriser les populations et leur diffusion
-       S’agissant plus particulièrement des ravageurs, on peut citer la confusion sexuelle (méthode récente datant des années 1990, fondée sur la fonction des phéromones, molécules modifiant le comportement des mâles ou des femelles, en perturbant le système hormonal de reproduction), également le concept d’insectes stériles, et le recours de plantes attractives ou répulsives (produisant alors des kairomones, des molécules attractives ou répulsives) ; cette dernière voie, encore plus récente s’avère prometteuse y compris dans le domaine des grandes cultures et repose sur la technique de l’électro-antennographie pour une identification ciblée de molécules ayant un effet sur le comportement du ravageur.
-       On peut aussi citer le recours à des plantes ou à des champignons ayant des effets télétoxiques (par la production de molécules naturelles, toxiques à distance, ce que l’on appelle l’allélopathie ou bien alors la biofumigation, qui nécessite en ce cas, un broyage et un enfouissement à la superficie du sol)
-       Le recours à des produits naturels ou de synthèse déclenchant des systèmes de défense plantes. Les différentes voies métaboliques concernées par le déclenchement de ces systèmes de défense sont aujourd’hui connus et ont permis de construire des outils moléculaires capables d’identifier beaucoup plus rapidement les molécules candidates
-       L’association d’espèces ou de variétés à différents niveaux d’échelles (au sein de la même parcelle, de l’exploitation, du paysage afin de limiter le développement des épidémiologies et de prolonger la durabilité des résistances génétiques acquises, notamment vis-à-vis des champignons pathogènes)
-       Enfin, la lutte intégrée qui repose sur la combinaison des différents leviers disponibles et utiles
 
Alimentation des cultures
Après la protection, la fertilisation agro-écologique est aussi en marche, déjà dans les champs des producteurs et en cours d’évaluation par les Instituts :
Si l’obtention de plantes non légumineuses fixatrices par voie symbiotique n’est pas encore pour demain, des avancées récentes (voies métaboliques plus simples, découvertes sur certaines espèces fixatrices, application potentielle de rhizobium en traitement de semences avec multiplication des bactéries au niveau des cellules racinaires…) laissent envisager des espoirs d’obtentions moins lointaines et moins hypothétiques qu’il y a quelques années.
Le premier objectif des leviers agro-écologique est de rechercher des sources d’azote naturelles (en substitution aux intrants de synthèse) notamment via les légumineuses par la rotation, l’introduction de culture intercalaires, couverts permanents vivants ou morts, mais aussi par le recours aux produits organiques. Les études menées par les Instituts ont permis d’en estimer leur composition chimique et leur biodisponibilité au cours du temps pour les cultures. Des travaux sont aussi menés pour évaluer la complémentarité territoriale entre les systèmes de
Une deuxième voie consiste à améliorer l’extraction des éléments nécessaires à l’alimentation de la plante. En plus d’une gestion de la fertilité physique et chimique du sol pour garantir la capacité de production du sol, on peut citer les possibilités offertes par l’activité biologique des sols. Notamment, les mycorhizes dont les filaments au contact des racines permettent une meilleure capacité d’absorption mais certaines bactéries (par exemple, les actinomycètes) qui ont une action sur la biodisponibilité en éléments majeurs.
On recherchera par les pratiques opérant au niveau du système de culture à augmenter les populations endogènes bénéfiques du sol, sachant que des inoculations de souches sont également des techniques qui peuvent être mises en œuvre. S’agissant plus particulièrement de l’azote, le recours aux espèces associées (par exemple associations blé-légumineuses, colza-lentille…) permettent de réserver une plus grande surface en diversifiant et par complémentarité fonctionnelle d’obtenir des volumes riches en protéine.
Ces leviers agro-écologiques de la fertilisation sont un complément à ceux mieux connus et qui font d’année en année, leur preuve en termes d’efficacité : efficience des apports d’engrais (type d’engrais, moment d’épandage, ensemble des innovations liées à l’amélioration des produits et des techniques permettant de mieux les épandre, en moindre quantité…), mise en œuvre d’outils de pilotage prenant en compte les aléas annuels, garantissant production et qualité en évitant tout excès et aptitude génétique (efficience d’absorption et d’utilisation de l’azote).
 
Les leviers agro-écologiques valorisant la génétique
Le premier levier repose sur le choix le mieux adapté des espèces et des variétés en fonction de leurs caractéristiques physiologiques et des contraintes qui s’exercent par milieu. De ce fait la connaissance des environnements, de leurs variabilités et de leurs conséquences sur les cultures devient, avec la connaissance du fonctionnement des cultures des disciplines socles d’une agro-écologie performante. Par espèce et par variétés, il convient de caler les cycles de telle manière que la plante évite le plus possible les stress du milieu : c’est la stratégie d’esquive qui repose sur les meilleures adéquations entre précocité, date de semis, densité de semis et pratiques culturales associées en cohérence.
Cette première stratégie doit bien entendu être combinée avec des traits génétiques agro-écologiques mais garantissant la performance en termes de production et de qualité (le progrès génétique pour le rendement, associés à des critères de tolérance, d’efficience ou de sobriété, qui sont rappelons le compatibles et non antagonistes).
Le changement climatique s’accompagnant d’une augmentation d’une variabilité climatique interannuelle, ne garantit pas toujours une pleine réussite de cette démarche ; Pour minimiser les impacts de cet aléa interannuel, on aura tout intérêt à cultiver dans une même exploitation plusieurs variétés dont la présence permet une meilleure stabilité des performances : c’est la notion de « bouquet variétal ».
S’agissant des pathogènes, des approches à l’échelle territoriale, encore en phase de mises à l’épreuve, vise par une organisation spatiale des variétés (basée sur la connaissance des gènes de résistance présents dans les variétés et la localisation des races de maladies) à garantir une plus grande durée des résistances acquises. De telles démarches sont à l’étude sur la rouille brune du blé, le phoma du colza… mais leurs évaluations sont en cours et restent délicates à évaluer (gestion à l’échelle du territoire, évaluation sur plusieurs années…). 
Enfin une autre approche très intéressante consiste aussi à appréhender en quoi un « système agro-écologique innovant » induit des spécificités en termes de nouvelles caractéristiques variétales à rechercher. Par exemple, un blé cultivé depuis quelques années sous couvert de légumineuses sera confronté à une concurrence vis-à-vis de la plante de service et disposera d’une offre en éléments (notamment en azote) qui pourra être différente en quantité totale (une offre en azote pourquoi pas supérieure si le système est bien piloté) et au cours du temps (concurrence en début de cycle, forte minéralisation en fin de cycle…). Ces quelques éléments laissent clairement entrevoir des adaptations à la fois génétique et dans le pilotage de la culture. 
 
Combiner les leviers pour des systèmes de culture multi-performants
La réussite d’une agro-écologie performante consiste finalement à combiner les différents leviers gagnants pour chaque facteur de production à l’échelle du système de culture.
Cet assemblage nécessite une connaissance des atouts et des contraintes de chacun des milieux pour proposer les solutions techniques intégrées les mieux adaptées.
Aujourd’hui, de tels systèmes de culture sont ou seront prochainement éprouvés. C’est notamment le cas de systèmes avec présence de couverts permanents vivants ou morts dans le cadre d’un réseau d’agriculteurs mettant en œuvre ce type de techniques, avec des premiers résultats présentés à la suite dans le cadre de ce dossier. On peut également mentionner le projet SYPPRE (Systèmes de Production Performants et Respectueux de l’Environnement) animé par l’ensemble des Instituts techniques de grande culture (ARVALIS, CETIOM, ITB et UNIP) qui a pour objet de concevoir et d’évaluer des systèmes de production mobilisant l’ensemble des outils, des connaissances et des technologies visant conjointement un haut niveau de productivité et l’excellence environnementale. Véritables plateformes prospectives, ces systèmes seront mis à l’épreuve dans différentes régions françaises pour constituer des lieux d’observation, de concertation technique et scientifique, d’acquisition de nouvelles connaissances, de questionnement de la recherche avec l’originalité de rassembler les acteurs et les experts régionaux, avec les agriculteurs, acteurs de la recherche et diffuseurs des solutions.
 
Pour synthétiser
Une mise en œuvre des techniques de l’agro-écologie compatible avec une multi-performance des systèmes de culture est une équation qui a des solutions, dès maintenant et à moyen terme. Compte tenu de la disponibilité actuelle des solutions agro-écologiques efficaces, ce défi s’inscrit dans une démarche évolutive, fonction des acquis de la recherche et des innovations.
Parmi les solutions, le levier génétique occupe et occupera une place centrale et décisive car il permet d’actionner conjointement les composantes nécessaires à cet objectif : potentiel de rendement, tolérance, efficience et sobriété.
La stratégie gagnante pour atteindre cet objectif multicritère passe par un certain nombre d’étapes à remplir :
-       identifier le plus rapidement les facteurs les plus limitants pour prioriser les actions de recherche,
-       choisir les voies les plus efficientes compte tenu de nos connaissances pour définir les stratégies les plus gagnantes,
-       éprouver sur le terrain, les hypothèses de réglages des techniques avec des dispositifs adaptés, par exemple avec des essais analytiques à plusieurs facteurs dans les systèmes, à des fins d’acquisition de nouvelles références (optimisation du réglage des combinaisons des pratiques culturales), de démonstration et de quantification (moindre dépendance des systèmes aux intrants de synthèse, via par exemple des courbes de réponse aux intrants…) 
-       et réduire le « gap » entre ce que nous savons et les décisions ou les actions qui sont prises, par exemple à court terme en améliorant les règles d’inscription des variétés et les dispositifs expérimentaux d’évaluation (évaluer dans des systèmes « agro-écologiques », compatibles le « produire plus et mieux »)
Par ailleurs, le recours à plus de diversification d’espèces et à des plantes de service, doit également interroger la recherche, à un moment où l’amélioration génétique se reconcentre sur les espèces d’intérêt économique majeur.
Elle requiert indubitablement une approche transdisciplinaire (écophysiologie, génétique, pathologie et agronomie) avec une capacité à agencer et à intégrer les briques de connaissance dans le but de maximiser les effets de synergie et de durabilité, en investiguant les différents niveaux d’échelle. 
 Elle exige donc une attitude de complémentarité qui va au-delà des disciplines : par exemple ne pas opposer pyramidage des gènes et bouquets variétaux, ni efficience génétique azoté avec le recours à des plantes de service (pois, luzerne… ). Les innovations efficaces qui seront à mobiliser proviendront à la fois du domaine des technologies et de l’agronomie. Face à ses défis, l’agriculture de demain devra par conséquent combiner impérativement les innovations relevant simultanément des innovations technologiques, génétiques et agro-écologiques.